Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
En fait, j’ai la désagréable impression de ne plus être à
ma place dans ce monde. Il change sous mes yeux, et ce que j’observe me
terrifie. L’ambition et la cupidité exercent leurs ravages chez les grands et
ils ne se soucient que d’augmenter leur avoir. Le peuple les imite, croyant que
c’est là le secret de la réussite. Surtout, je sens monter de partout une sorte
de révolte et de terrible colère qui me consterne. As-tu entendu ce qu’on dit
maintenant haut et fort contre les Maures et les Juifs qu’il faudrait chasser
de ce royaume ? Ils sont là pourtant depuis des siècles et n’ont pas
ménagé leur peine pour nous faire partager leur savoir et leurs talents.
— J’ai pu constater en Castille que la populace gronde
contre eux et lorgne sur leurs biens. Pire, il suffit de les fréquenter pour
devenir soi-même suspect. Je n’en ai pas la certitude mais j’ai deviné que
l’inquisition s’était intéressée à moi et à mes proches. D’étranges
personnages, sous les prétextes les plus divers, se sont introduits dans notre
entourage, espionnant nos faits et gestes et, surtout, nos conversations. Ils
ont disparu aussi vite qu’ils étaient arrivés mais j’ai l’impression d’être en
sursis. Un jour ou l’autre, ils me sommeront d’avoir à rendre des comptes.
C’est là un point que je mets au crédit de Dom Joao. Jusqu’à présent, il s’est
fermement refusé à permettre l’installation de l’inquisition dans ses domaines.
En dépit des pressions dont il fait l’objet de la part de certains. J’ignore
pourquoi il agit de la sorte mais je m’en félicite.
Quelques jours après cet entretien, Cristovao fut informé
que, par un très rare privilège, il était admis à se rendre au château
Saint-Georges pour y être reçu par le roi Dom Joao. C’est le cœur tremblant
qu’il gravit la colline et pénétra dans la forteresse. Un page le conduisit
dans une vaste salle où il eut la surprise de retrouver Bartolomeu Dias, José
Vizinho, mestre Rodrigo et les deux barons ainsi qu’un inconnu qui se présenta
à lui non sans l’avoir dévisagé de haut :
— Je suis Martim Behaim, chevalier dans le très
puissant et très noble ordre du Christ. J’ai beaucoup entendu parler de vous et
de vos curieuses idées. J’avoue ne guère accorder crédit aux récits de Marco
Polo, même si je ne néglige pas certaines de ses informations. Peut-être un
jour accepterez-vous de m’expliquer ce qui vous pousse ainsi à croire à
l’existence de Cypango.
— Bien volontiers, mais je doute fort que mes arguments
emportent votre conviction. Je ne crois pas à son existence. Ce n’est pas une
matière d’opinion mais un fait. La nuance est d’importance et je crains qu’elle
ne vous échappe.
Leur discussion fut interrompue par l’arrivée du souverain
devant lequel tous s’inclinèrent profondément. Dom Joao prit place sur son
trône et, l’air plutôt enjoué, apostropha José Vizinho :
— Ainsi donc, nos patients efforts ont été enfin
récompensés et l’Afrique a fini par nous livrer tous ses secrets. Nous vous en
savons naturellement gré, à vous comme aux autres membres de votre Junte des
Mathématiciens, qui servez loyalement notre couronne. Bartolomeu Dias, nous
vous en sommes particulièrement reconnaissant et avons décidé de vous confier
la direction de la Maison de La Mine, sous la responsabilité directe de Dom
Martim Behaim, auquel vous aurez à rendre un compte fidèle et exact de vos
découvertes et projets. C’est à lui et lui seul que vous obéirez.
Le capitaine s’inclina, dissimulant mal son dépit, tandis
que le roi poursuivait :
— Quant à vous, messer Cristovao, si nous avons
souhaité votre présence, c’est pour vous faire comprendre que vous avez
gravement fauté en nous affirmant qu’il était impossible de trouver le passage
vers l’Inde en longeant la côte d’Afrique, et qu’il valait mieux vous fournir
une flotte pour franchir la mer Océane. C’est tout le contraire qui s’est
produit.
— N’en déplaise à Votre Majesté, mon idée n’était
peut-être pas aussi insensée que l’ont prétendu vos conseillers. Elle l’était
si peu qu’un de vos capitaines, Fernao d’Ulimo, a tenté de la réaliser avec
votre autorisation.
— Et à ses propres frais, ce dont je ne suis pas
mécontent. L’un de ses navires a sombré et l’autre n’a dû son salut qu’à un
providentiel concours de
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