Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
Pour eux, la mort du jeune marié n’était pas
un malheureux accident.
Le jeune homme avait été purement et simplement victime d’un
complot ourdi par les Castillans et les Aragonais qui ne souhaitaient pas le
voir monter sur le trône d’Espagne. Une drogue avait été administrée à son
cheval et la selle sabotée, il n’y avait pas d’autre explication à ce drame. Pour
les Génois, l’affaire était particulièrement embarrassante. Elle avait provoqué
une vague d’hostilité à l’égard des étrangers à Lisbonne où plusieurs boutiques
avaient été pillées. Tout cela à cause de ces maudits Castillans, une sale
engeance, dont les mères n’hésitaient pas à cohabiter avec des Maures et des
Juifs.
À ces mots, Cristobal s’était levé et avait apostrophé en
dialecte ligure ses compatriotes :
— Certains Génois le font et s’en portent fort bien,
infiniment plus que des imbéciles comme vous. Honte à vous de tenir de tels
propos en croyant que nul ne vous comprend.
Une rixe s’en était suivie. Les négociants se jetèrent sur
Cristobal qui, en dépit de sa force, aurait succombé si un robuste gaillard
n’était venu à sa rescousse et ne l’avait aidé à jeter hors de la taverne leurs
adversaires. Il avait chaudement remercié l’homme qui avait éclaté de
rire :
— Ces coquins-là méritaient une bonne leçon, et je vous
dois mille remerciements de la leur avoir administrée. J’ai compris ce que vous
vous disiez et, par ma foi, j’aime assez à ce qu’un honnête homme comme vous
ait bonne opinion de nous autres Castillans, en tous les cas qu’il prenne notre
défense quand nous sommes injustement attaqués et calomniés. Topez là, dit-il
en lui tendant la main, je m’appelle Martin Pinzon et je suis armateur à Palos
et Moguer. Je suis venu à Cordoue pour y prendre livraison d’une cargaison de
peaux tannées destinées à la Guyenne. Buvons un pichet de vin, je vous
raconterai monts et merveilles sur mes navigations. Vous qui vivez à
l’intérieur des terres ignorez sans doute tout de la mer et de ses sortilèges.
Cristobal avait décliné l’invitation. Il avait comme honte
de s’être laissé emporter et d’avoir compromis sans nul doute le peu de crédit
dont il jouissait auprès de ses compatriotes installés à Cordoue.
*
Cette fois, c’en était bien fini. En sellant sa mule,
Cristobal songeait qu’il lui faudrait sous peu gagner la France, où Bartolomeo
se trouvait et lui affirmait avoir réussi à intéresser à leur projet une partie
de l’entourage de Charles VIII. C’en était terminé de l’Espagne et des
fallacieux espoirs qu’il avait placés dans la reine Isabelle. Il lui en voulait
plus qu’à son mari, l’inconsistant et versatile Ferdinand d’Aragon. Elle
s’était montrée sensible à ses arguments et il savait qu’elle partageait son
sincère désir de trouver les richesses nécessaires au financement de la
croisade. Toutefois, au dernier moment, alors qu’il suffisait d’un mot de sa
part, elle avait reculé. Elle lui avait fait savoir que, pour le moment, ni la
Castille ni l’Aragon n’étaient disposés à favoriser, de quelque manière que ce
soit, son entreprise.
C’était la fin d’une attente de deux ans. À son retour de
Lisbonne, il avait patienté, priant pour que la commission présidée par Don
Hernando de Talavera et mise sur pied en 1486 consente à rendre enfin son
verdict. Elle l’avait fait début 1491, et il se souvenait comme si c’était hier
de ce qui s’était alors passé.
Tout comme aujourd’hui, il avait littéralement perdu le sens
commun. Antonio de Marchena lui avait raconté plus tard que jamais il ne
l’avait vu dans un tel état de fureur quand il avait pris connaissance de la
lettre écrite par Diego Deza. Celui-ci informait Cristobal de ce que la
commission avait statué que ses « promesses et offres de services étaient
impossibles, vaines et dignes d’être rejetées ». Elle affirmait aux deux
monarques qu’il n’était pas « décent que leur autorité royale s’intéresse
à une entreprise qui repos [ait] sur d’aussi faibles fondements et qui appara[issai]t
comme hasardeuse et irréalisable à toute personne instruite ».
En lisant cette lettre, Cristobal s’était senti trahi,
poignardé par ceux en qui il avait placé sa confiance :
— Ce sont tous des ânes bâtés qui ne savent rien des
choses de la mer. Ils sont assez stupides pour
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