Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
mon époux, Luis de
Santangel, de s’entretenir avec vous, en notre nom, de diverses questions.
N’omettez surtout pas d’aller le voir.
Cristobal avait remarqué que le frère Juan Perez avait
tressailli en entendant la reine évoquer certains moyens de nature à hâter le
triomphe du christianisme. Visiblement, ceux-ci ne devaient pas être à son
goût. Quand ils se retrouvèrent, le soir, dans le modeste baraquement qui leur
avait été assigné pour résidence, le moine se garda bien d’évoquer de sujet. Il
préféra lui dire qu’il avait croisé Luis de Santangel et que celui-ci les
recevrait le surlendemain.
L’entrevue avait laissé à Cristobal un goût incertain.
Trésorier de la maison privée du roi Ferdinand, l’homme était d’un commerce
agréable et semblait très au fait du projet d’expédition sur la mer Océane. Il
souhaitait savoir ce que Cristobal exigeait pour récompense de ses bons et
loyaux services s’il parvenait effectivement jusqu’à Cypango, ajoutant :
— Bien entendu, tout cela n’est que pure spéculation.
Tant que ce voyage n’a pas été approuvé, il est hors de question que la
Couronne s’engage en quoi que ce soit. Elle n’en a d’ailleurs pas les moyens ni
la faculté. Voyez, dit-il en montrant deux hommes au loin, messires Abraham
Senor et Isaac Abrabanel qui ont en charge le financement de la guerre contre
les Maures. Pas un maravédis ne sort de leurs coffres sans que ces deux Juifs
n’aient donné leur approbation, aussi difficile à obtenir qu’un titre de chevalier
par un manant. La reine en a fait récemment l’expérience. Elle souhaitait
acquérir un lot de bijoux qui auraient mis en valeur la pâleur de son teint. Ce
maudit Senor lui a fait la leçon comme si elle était une gamine capricieuse et
non sa souveraine. Autant vous dire qu’il ne lâchera ses ducats que s’il y est
contraint et forcé. Votre expédition, à ses yeux, est une vaine entreprise.
Toutefois, afin éventuellement de l’amadouer, j’ai besoin de savoir, sans
entrer dans le détail, ce que vous réclamez. Jusque-là, à en croire certaines
de mes sources, vous n’exigez que la fourniture de deux ou trois navires avec
leurs équipages et cargaisons. Est-ce tout ?
— Cela aurait pu être le cas si l’on ne m’avait pas
fait patienter pendant plus de cinq ans en abusant de ma naïveté et de ma bonne
volonté, et en me consolant avec le versement, irrégulier, d’une faible
pension. J’ai compromis ma carrière, mon nom et reçu plus de rebuffades que de
récompenses. D’autres princes sauront mieux me traiter que ne l’ont fait ceux
au service desquels j’ai été jusqu’ici. Aussi, pour vous répondre franchement,
puisque c’est cela que vous exigez de moi, j’affirme que je ne me lancerai pas
dans cette entreprise sans avoir la garantie qu’en cas de succès je serai
anobli et transmettrai à mes descendants, légitimes ou naturels, le titre
d’amiral de la mer Océane ainsi que le dixième au moins des richesses qui
seront tirées des terres soumises par moi.
Luis de Santangel avait éclaté de rire :
— Amiral, votre réponse me plaît. Vous voyez que je
vous donne le titre que vous réclamez. Vos prétentions sont inouïes mais
attestent, en même temps, de votre sérieux. J’avoue que je doutais de vous
jusqu’à présent. Vous me donniez l’impression d’être un gagne-petit avec vos
modestes demandes de quelques navires, comme s’il s’agissait d’aller pêcher un
peu plus de poissons pour le carême. Je vous préfère de la sorte, acrimonieux,
âpre au gain, désireux surtout de vous élever au-dessus de votre condition.
Cela plaide en votre faveur. À mes yeux du moins. Je vous dirai dans quelques
semaines ce que d’autres en ont pensé.
Le ton badin de Luis de Santangel l’avait agacé. Il y
devinait une forme de désinvolture confinant à l’indifférence ou au mépris. Ses
affaires ne progressaient pas. Cristobal n’avait plus revu Santangel jusqu’à ce
matin du 2 janvier 1492 quand, au milieu d’une foule enthousiaste, portant
bien haut les bannières de la Castille et de l’Aragon, il avait pénétré dans la
forteresse de Grenade que ses derniers défenseurs avaient abandonnée la veille
au soir. Des centaines de captifs chrétiens, dont les chaînes venaient d’être
brisées, parcouraient les rues en pente de la cité, dansant et gesticulant
comme de beaux diables, sous les yeux effarés des quelques Maures
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