Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
tout Chrétien.
— J’entends bien, mais elle ne s’impose pas à tous avec
une même vigueur. N’auriez-vous pas d’autres raisons de poursuivre ce
but ?
— Je ne m’en connais point d’autres que celle d’être
agréable à Dieu.
— Voilà qui est bien curieux. J’avais imaginé que
d’aucuns, parmi les vôtres, vous avaient transmis certaines choses.
— Un seul homme en est responsable, le vieux curé de
Mocònesi, le village où j’ai passé mon enfance. C’est lui qui, le premier, m’a
parlé du Prêtre Jean et de la sainte cité de David. C’est lui qui a fait mûrir
dans mon esprit ce rêve et je regrette seulement de ne pas avoir pu le lui
dire.
— Admettons. J’avais songé à d’autres choses qui
semblent vous être totalement inconnues. C’est grand dommage car elles auraient
pu jouer en votre faveur et vous valoir de solides appuis. N’en parlons plus.
Cristobal avait interrogé à ce sujet Jacob de Torres qui
avait éclaté de rire :
— Pablo de Santa Maria est décidément bien imprudent ou
t’a en très haute estime. Il te prend pour l’un des nôtres.
— Que veux-tu dire par là ?
— Qu’il te croit converso comme lui et d’origine
juive.
— Si je l’étais, je n’en rougirais point.
— J’en suis le premier convaincu. Sans doute la reine,
dont il est l’un des plus proches conseillers, lui a-t-elle parlé de
l’attention que tu portes à Jérusalem. Il en a tiré certaines conclusions et a
voulu t’éprouver. On murmure à la cour qu’il se conduit parfois de manière
étrange et qu’il s’abstient soigneusement de consommer du porc en public.
D’aucuns le soupçonnent de judaïser secrètement et de n’être entouré que de
Nouveaux Chrétiens. C’est l’impression qu’il donne ou qu’il veut donner. Est-ce
la vérité ? À vrai dire, j’en doute fort. Si tel avait été le cas,
l’inquisition se serait déjà occupée de lui. Elle aurait instruit à son
encontre un procès en bonne et due forme et aucune protection, pas même celle
de la reine, ne lui aurait évité la prison et le bûcher. Je dois t’avouer que
je ne l’aime guère et que je le sais assez roué pour avoir cherché à te piéger.
Voilà qui est bon signe. D’aucuns s’irritent de la faveur dont tu jouis à la
cour.
Les deux hommes avaient eu cette discussion au retour de
Cristobal à Cordoue où il avait retrouvé Dona Beatriz et son fils, Ferdinand,
dont il surveillait avec joie les premiers pas. Son aîné, Diego, vouait à son
frère une véritable adoration. Il le retrouvait à chaque fois qu’il était
autorisé à quitter la Rabida où le frère Juan Perez l’avait accueilli après que
Miguel Molyarte l’eut pour ainsi dire chassé de sa maison, sans motif apparent.
L’attitude de son beau-frère avait profondément déçu Cristobal. Les deux hommes
avaient pourtant été jusque-là amis et étroitement associés. Miguel semblait
avoir pris ombrage de le voir vivre en ménage avec Dona Beatriz, en dehors des
liens du mariage. Il avait même poussé l’outrecuidance jusqu’à refuser de
favoriser l’installation à Palos de Bartolomeo au motif que les marins du lieu
n’avaient pas besoin d’un cartographe et qu’il serait vite ruiné. Un temps
humilié par ce mauvais procédé, le cadet s’était vite consolé. Un matin, il
avait annoncé qu’il partait avec sa femme pour l’Angleterre où plusieurs
marchands, qu’il avait connus à Lisbonne, étaient prêts à lui avancer des fonds
pour rouvrir sa boutique. Le pays, lui avaient-ils expliqué, manquait de bons
cartographes et un homme aussi expérimenté que lui ferait rapidement fortune.
Cristobal avait eu beau lui raconter, devant tous leurs amis, l’impression
défavorable que lui avait faite son séjour à Londres, Bartolomeo s’était
embarqué et n’avait plus donné de nouvelles depuis.
Début 1490, de somptueuses réjouissances avaient eu lieu
dans toutes les villes de Castille à l’annonce du mariage de l’infante Isabelle
et de l’infant Afonso de Portugal, âgés respectivement de vingt et quinze ans.
Trois mois plus tard, l’on apprenait la mort accidentelle, à la suite d’une
mauvaise chute de cheval, de l’infant. Un soir qu’il se trouvait à la taverne,
Cristobal avait surpris une conversation entre plusieurs négociants génois de
sa connaissance qui n’avaient pas remarqué sa présence, dissimulé qu’il était
par l’un des piliers de la salle.
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