Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
couleur de leur peau
tenait de la brique, enfin d’une brique mal cuite. Hormis cela, elles étaient
en tous points semblables à nous. Il ne fait aucun doute qu’elles avaient
dérivé depuis l’ouest. J’ignore d’où elles venaient. En tous les cas pas des
terres situées plus au nord où les habitants d’ici se rendaient il y a encore
cent cinquante ans pour y rencontrer leurs parents, de bons Chrétiens dont
l’évêque était nommé par Rome. Celles-là ne leur ressemblaient pas. Étaient-ce
des habitants de Cypango ? À l’époque, je n’avais pas encore lu le Devisement
du monde et je me suis simplement préoccupé de leur donner une sépulture,
hors de l’enclos réservé aux baptisés.
— Est-ce là votre seule preuve ? Elle n’est guère
convaincante.
— Avez-vous entendu parler des Sept Cités ?
— Non.
— Il est vrai que vous êtes Génois et que vous ignorez
l’histoire de notre nation. Lors de la conquête du Portugal par les Maures,
sept évêques se seraient embarqués avec leurs fidèles et auraient cinglé vers
l’ouest. Ils auraient gagné des îles au milieu de la mer Océane qui seraient
encore habitées par leurs descendants. Nos Maures ont une légende similaire.
Ceux de Lisbonne affirment que huit des leurs, tous cousins, s’élancèrent
également sur les flots, cette fois pour fuir les Chrétiens. Je suis trop vieux
pour me lancer à la poursuite des uns et des autres. C’est peut-être à vous
qu’il reviendra de le faire et de poursuivre le voyage jusqu’à Cypango.
Seigneur de Cypango, avouez que cela pose son homme.
Dans les jours qui suivirent, Cristovao et Joao ne se virent
pratiquement pas. Le Génois surveillait le chargement des peaux et des
provisions. Son hôte s’était enfermé pour vérifier soigneusement les registres
de comptes destinés à Eleazar et écrire, disait-il, des lettres à des
négociants de sa connaissance. Le matin du départ, il se rendit à bord du
navire, portant dans ses bras un paquet enveloppé dans un morceau de toile
qu’il tendit à Cristovao :
— J’ai bien cru que mes commis et moi, aidés du curé, n’y
parviendrions jamais. J’ai épuisé ma provision d’encre et de papier pour
recopier le Devisement du monde. Je ne suis pas sûr que mes aides
n’aient pas trébuché sur certains mots et qu’ils n’aient pas raccourci certains
passages quand l’envie leur prenait de dormir. Peu importe, l’essentiel du
texte est là. Lisez-le avec soin, vous en ferez bon usage. N’oubliez pas de
remettre à mon cousin ces lettres où je l’informe de la bonne marche de ses
affaires et où je lui dis que les glaces du Septentrion ont aiguisé votre
esprit.
*
Cristovao avait retrouvé Lisbonne avec une joie qu’il
n’avait jamais éprouvée jusque-là. En apercevant au loin la masse du château
Saint-Georges, il avait tressailli d’aise. Il était de retour chez lui et avait
hâte de retrouver sa maison de la Mouraria. Ali l’avait chaleureusement
accueilli et avait levé les yeux au ciel quand il lui avait demandé où se
trouvait Paolo. Le vaurien avait mis à profit l’absence de son maître pour
vaquer à ses propres affaires. Dieu sait comment, il s’était mis en cheville
avec le marchand qui l’avait vendu au Génois et auquel il aurait dû vouer une
farouche rancune. Il était devenu son aide et lui prodiguait ses conseils pour
écouler sa marchandise, un terme qu’il affectionnait particulièrement. Pour lui,
les malheureuses créatures sorties des entrailles des navires étaient comme les
sacs de malaguette entreposés dans la cale. Elles devaient être vendues au
meilleur prix, quitte à tricher avec la vérité.
Avec une habileté diabolique, Paolo s’était transformé en
maquignon. Il vendait un cheptel humain et utilisait les mêmes ruses que les
marchands de chevaux et de bœufs. À en croire ces derniers, leurs montures,
même quand il s’agissait de haridelles décharnées, étaient de splendides
destriers et leurs animaux de trait de robustes bovidés habitués à tirer les
charrues et les carrioles. Il en allait de même pour les captifs qui n’avaient
pas trouvé preneur lors de leur enregistrement à la douane des Sept Maisons. Il
les bichonnait pour leur redonner un semblant d’apparence humaine.
Il suffisait de gaver des femmes réduites à l’état de
squelettes pour les transformer en robustes matrones à la poitrine opulente et
à la croupe charnue. Sous la menace
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