Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
Vieux
Pilori, victime sans doute d’une de ses entourloupes.
À son arrivée, Cristovao s’était rendu chez Eleazar pour lui
remettre les livres de comptes et les lettres que lui avait confiés Joao. Le
négociant l’avait prié de revenir le surlendemain, une fois qu’il aurait pris
connaissance de cette correspondance. Au jour dit, le Génois s’était présenté
chez l’armateur qui l’avait chaleureusement accueilli :
— Mon cousin m’affirme n’avoir eu qu’à se réjouir de
votre compagnie. Je veux bien le croire car il doit s’ennuyer fort au milieu
des rustauds qui l’entourent. C’est le prix qu’il a payé pour son apostasie.
Son père a observé le deuil rituel pour bien montrer que son fils avait cessé
de vivre à ses yeux. Sa mère, ma tante, m’a supplié de pourvoir à son
entretien. Puisqu’il rêvait de voyager, je l’ai envoyé en Angleterre et à Thilé
où il m’était interdit de me rendre.
— Je crois qu’il a trouvé une certaine paix de l’âme.
C’est un homme de bien, qui prend grand soin de vos intérêts.
— C’est le moins que je puisse attendre de lui. De
fait, ses fourrures sont d’excellente qualité et vont me rapporter de trois à
quatre fois les frais que j’ai engagés pour les récupérer. Je n’ai qu’à me
féliciter de vos services. J’enverrai dans quelques semaines une flotte à
Madère et, par Dieu, vous en serez.
*
Cristovao avait pris bonne note de cette promesse. Il avait,
pour l’heure, mille choses à régler. Il lui fallait notamment veiller à ce que
son navire subisse les réparations rendues nécessaires par un long séjour en
mer. La coque et la voilure avaient subi de nombreuses avaries. Pour effectuer
ces travaux, il avait recours à une main-d’œuvre très bon marché :
l’équipage. À terre, la plupart des hommes se retrouvaient livrés à eux-mêmes.
Rares étaient ceux que femme et enfants attendaient. La majorité ne savait
souvent pas où aller. Certes, ils auraient pu regagner les villages où vivaient
leurs familles et s’efforcer de cultiver quelques maigres arpents de blé ou de
seigle. Mais ils n’ignoraient pas qu’ils y seraient mal reçus. La plupart du
temps, leur départ avait été perçu comme un véritable soulagement. C’était une
bouche de moins à nourrir. Ils risquaient aussi de découvrir que leurs parents
étaient morts pendant leur absence et que leurs frères et sœurs s’étaient
partagé leurs maigres biens sans réserver leur part. Mieux valait tirer un
trait sur le passé. Une fois qu’ils avaient bu leur salaire dans les tavernes,
les matelots étaient trop heureux de pouvoir continuer à dormir sur le pont du
navire et d’être nourris en échange de longues heures de travail. Toute la
journée, Cristovao les surveillait, s’émerveillant de leur habileté.
Dès la tombée de la nuit, il regagnait la Mouraria. Après
avoir avalé un repas, qu’il qualifiait de « royal » eu égard à la
qualité de celle qui l’avait préparé et de celui qui le servait, il s’abîmait
dans la lecture de Marco Polo. C’était le compagnon de ses nuits. Il lisait et
relisait ce texte, notant en marge ses réflexions et ses interrogations, se
promettant d’étudier plus avant tel ou tel point obscur. Mais avec qui ?
C’était bien là le problème. Même s’ils avaient de bons rapports avec lui, les
capitaines et les pilotes ne le considéraient pas comme un des leurs. À leurs
yeux, il n’était qu’un commis, un scribouillard guettant l’occasion de prendre
leur place. Il n’était pas question de partager avec lui leurs connaissances et
leurs secrets. Pourquoi lui auraient-ils confié ce qu’ils savaient des vents et
des courants ou des mouillages qu’il fallait éviter ? Lui seraient-ils
seulement utiles ? Habitués à naviguer dans le golfe de Gascogne, la
Manche ou la Méditerranée, ils ignoraient tout des lieux enchanteurs décrits
par le Vénitien et se seraient sans doute grassement esclaffés s’il leur avait
lu quelques pages du Devisement du monde.
De ce côté-là, il n’avait rien à espérer. Pas plus des
quelques lettrés lisboètes dont il avait vaguement entendu parler. Il ne leur
serait jamais venu à l’idée de discuter avec un modeste commis, tout juste bon
à être reçu par leurs intendants. L’un d’entre eux, un médecin, avait toutefois
daigné un jour s’adresser à Cristovao. Il avait un besoin urgent de bourraque,
une plante aux
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