Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
étaient habitées : Madère et Porto Santo. La
première était indéniablement une réussite. Vignobles et plantations de cannes
à sucre assuraient sa prospérité et celle du Trésor. C’était une manne
quasiment inépuisable. Rien de comparable avec ce qui se passait à Porto Santo,
découverte par un Italien, Bartolomeo Perestrello. Avant d’y installer des
colons, ce maladroit y avait débarqué un couple de lapins dont les petits s’étaient
à ce point multipliés qu’ils avaient dévoré toute la végétation. Il avait fallu
allumer un gigantesque incendie pour mettre fin à leur nuisible activité. Mais
le mal était fait. L’île était aussi désolée que ses voisines, les Desertas. Et
ce n’était point l’héritier de Bartolomeo Perestrello qui remédierait à la
situation. Atteint d’une étrange langueur, il passait ses journées alité, se
levant parfois pour rendre la justice et trancher les litiges entre les
quelques habitants du lieu.
Le prince héritier grimaça. Il avait entendu parler de cette
histoire de lapins qui avait fait rire tout Lisbonne. Le malheureux Perestrello
s’était consolé en épousant Dona Isabel Moniz, la fille de Gil Ayres Moniz,
l’un des principaux seigneurs de l’Algarve. Sa dot compensait largement son
absence de beauté. Elle appartenait à l’une des familles les plus illustres du
royaume. Son ancêtre, Martim Moniz, s’était couvert de gloire lors du siège de
Lisbonne en 1147. Il avait pris d’assaut une des portes, baptisée depuis de son
nom, et avait permis, en sacrifiant sa vie, aux assiégeants de pénétrer dans la
ville.
José Vizinho expliqua à Don Joao qu’il serait trop coûteux
de racheter sa charge de capitaine-donataire au fils Perestrello. Nul n’en
voudrait. Mais l’héritier avait une sœur, Dona Felippa, venue passer quelques
mois à Lisbonne. Il suffirait de lui trouver un mari assez ambitieux et adroit
pour l’aider à mettre en valeur ses domaines. La Couronne y avait tout intérêt.
Le prince sourit :
— Je suis persuadé que tu as déjà trouvé l’heureux élu.
Qui est-ce ?
— C’est un marin génois qui se dit être d’une
excellente famille. J’en doute fort mais cela m’arrange. Le moment venu, nous
saurons lui faire comprendre qu’il a intérêt à filer doux s’il veut rester au
Portugal. L’un de mes associés l’a à son service et m’en a dit le plus grand
bien. Il regorge de talents et brûle de les employer. Il pourrait nous être
utile pour une entreprise que je médite et dont il est encore trop tôt pour
parler. Auparavant, je veux éprouver ses qualités.
— Fais comme bon te semble ! Je n’ai pas l’âme
d’un marieur.
— À ceci près que la promise appartient à une famille
qui pourrait crier à la mésalliance.
— Serait-ce s’abaisser que d’épouser l’un de nos
protégés ? Fais discrètement savoir que je m’intéresse à ce jouvenceau.
*
Cristovao rebroussa chemin en riant. Il s’était
machinalement dirigé vers la Mouraria, oubliant que, depuis ce matin, il vivait
désormais à quelques dizaines de mètres du monastère de Todos o Santos, le
monastère de Tous les Saints, propriété de l’ordre de Saint-Jacques. Eleazar
Latam s’était entremis pour lui trouver ce nouveau logement qu’il jugeait mieux
convenir à son commis. Il l’avait averti, feignant la plus grande indignation
devant de telles calomnies, qu’on le soupçonnait d’être un mauvais Chrétien et
de ne fréquenter que des Maures et des Juifs. Il se murmurait, lui dit-il, que
le confesseur du prince héritier s’était mêlé de l’affaire, ce qui était plutôt
mauvais signe. Face à de tels périls, le Génois se devait de faire profil bas.
Il n’avait qu’à s’installer au cœur de la Ville haute, où les maisons ne
manquaient pas.
Quand Cristovao avait rétorqué que ses ressources ne lui
permettaient pas de dépenses inconsidérées – il devait subvenir en partie
à l’entretien de son frère –, l’armateur avait souri. Il n’était pas
question pour lui d’augmenter les gages de son commis. Néanmoins, lui dit-il,
il pourrait, lors de son prochain voyage, contrairement à l’usage, embarquer
quelques marchandises de prix et les revendre pour son propre compte. Son
bénéfice couvrirait largement les frais qu’il aurait engagés pour changer de
résidence et, le sachant, ses logeurs lui feraient volontiers crédit.
Le Génois avait compris qu’une
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