Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
étrange et hostile.
C’était le moment où, après une longue journée de labeur au
milieu de ses registres, Cristovao sortait pour se promener sur l’immense grève
de sable fin. Il savait que, tôt ou tard, il croiserait Dona Felippa et sa
sœur, Dona Violante, escortées de deux esclaves. Au déclin du jour, elles
s’évadaient de la demeure familiale, une vaste maison dotée d’un petit jardin
intérieur, où régnait leur mère. Cette femme acariâtre gémissait
interminablement sur ses revers de fortune qui la tenaient éloignée de la cour
et la réduisaient à vivre sur une île perdue au milieu de la mer Océane.
Au fil de leurs rencontres, Cristovao avait senti croître
l’attirance qu’il éprouvait pour Dona Felippa, une attirance moins charnelle
que spirituelle. Il savait bien qu’elle n’était pas d’une rare beauté mais il
se sentait en paix auprès d’elle. Elle l’écoutait avec attention, formulait des
remarques de bon sens et l’encourageait quand il se sentait envahi par le doute
ou par la lassitude. Il lui arrivait même de le taquiner sur le mystère qu’il
entretenait à propos de ses origines. En riant, elle lui avait confié qu’elle
n’était pas dupe de la généalogie flatteuse forgée par son propre grand-père à
son arrivée au Portugal.
Il avait prétendu descendre des Palestrelli de Plaisance,
des aristocrates, et expliqué qu’il avait choisi de s’appeler Perestrello car
ce nom sonnait mieux aux oreilles de ses nouveaux compatriotes. Pour elle, il
ne faisait aucun doute qu’il avait inventé cette fable pour satisfaire son
orgueil. Elle en était d’autant plus persuadée que son propre frère lui avait
interdit de s’adresser à la supérieure d’un couvent de Plaisance quand elle
avait voulu savoir qui étaient ses aïeux :
— Il m’a expliqué que ce serait attirer sur nous
l’attention d’éventuels parents tombés dans la misère et qui réclameraient
notre appui. C’est ce qu’il aurait appris en faisant mener sur place une
discrète enquête. Je ne l’ai pas cru. Il est bien trop prudent pour prendre le
risque d’écrire en Italie par crainte de voir ses prétentions réduites à néant.
Quelle importance au demeurant ? Mon grand-père n’était sans doute pas né
noble mais il méritait de l’être et les gens le tenaient d’ailleurs pour tel.
Voilà ce qui compte.
Cristovao avait tressailli. Dona Felippa était décidément
fine mouche. Elle avait percé son secret et le lui faisait comprendre avec
délicatesse. Il n’avait toutefois pas osé lui avouer la vérité et lui parler
d’un certain cabaretier de Savone, pensant que sa mère et son frère lui
interdiraient alors tout commerce avec lui. Il tenait trop à elle, tout en se
rendant compte que ce mensonge l’empêchait à tout jamais de la demander en
mariage.
Miguel Molyarte l’avait tiré de ce mauvais pas, sans le
savoir. Un jour, le régisseur avait demandé à le voir pour une
« importante affaire » :
— Je souhaite épouser Dona Violante. Elle a déjà
vingt-cinq ans et risque fort de rester fille car les gens de son rang sont
assez rares et, surtout, à la recherche de riches héritières. Ce n’est pas son
cas. Le curé de Funchal a parlé en ma faveur à sa mère et à son frère. Ceux-ci
seraient disposés à m’accorder sa main. Ils savent que j’ai du bien et quelques
espérances du côté de mes parents. Ils m’ont cependant fait comprendre qu’ils
préféreraient auparavant que leur cadette fasse un beau mariage qui fasse
oublier le parti plus modeste que je représente. Ils affirment à qui veut bien
les entendre que vous seriez un protégé du prince héritier et que vous êtes
issu d’une bonne famille ligure. Je sais les sentiments que vous portez à Dona
Isabel. Qu’attendez-vous pour vous déclarer ? Outre votre bonheur, vous
feriez le mien. Tenez, j’aperçois au loin Bartolomeo. Mon bon ami, voilà
l’occasion ou jamais de franchir le Rubicon. Je lui avais promis de vous
parler, il attend votre réponse.
Ne pouvant révéler à Miguel Molyarte la vérité, encore moins
se soustraire à sa naïve impulsion, Cristovao se retrouva dans une position
plutôt gênante, celle de solliciter une main qui lui était d’avance accordée
tout en paraissant être confondu de l’honneur qu’on lui faisait. Fort
heureusement, le capitaine-donataire ne lui laissa guère le temps de
s’expliquer :
— Notre ami Miguel vous a parlé et
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