Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
Cela, ajouta-t-il, dès qu’ils auraient terminé
d’édifier un bâtiment qui lui tenait particulièrement à cœur, une chapelle
flanquée d’un vaste logis pour son desservant.
Porto Santo, expliqua-t-il au prêtre, n’avait pas d’église.
C’était fort dommage alors que des centaines de marins y feraient désormais
escale. Il convenait de procurer à ces malheureux les secours de la religion
dont ils étaient si cruellement privés lors de leur séjour en mer. Les
capitaines ne se donnaient pas la peine d’embarquer à leur bord des chapelains
qu’il leur aurait fallu payer et nourrir. Par chance, Eleazar Latam, bien qu’il
fût juif, afin de remercier Dom Joao de ses bontés, s’était engagé à faire bâtir
sur sa cassette cette chapelle et à doter le futur desservant d’une généreuse
rente annuelle, à condition que ce fût un clerc méritant et issu d’une bonne
famille.
Le Génois avait alors affirmé à Joao Pereira qu’il s’en
remettait à lui pour y trouver le candidat idéal. Le curé de Funchal l’avait
regardé avec crainte. L’air réjoui qu’il affichait montrait qu’il était au
courant de beaucoup de choses. Très certainement, des mauvaises langues
n’avaient pas manqué de lui rapporter ce qui le tourmentait jour et nuit. Son
bâtard, Antonio, n’avait trouvé rien de mieux que d’entrer dans les ordres
après avoir étudié à l’université de Coïmbra où il avait failli ruiner sa mère
en achetant manuscrit sur manuscrit. De retour à Madère, il proclamait haut et
fort qu’il souhaitait expier les fautes de son père et faisait grand scandale
en affichant une piété aussi excessive que démonstrative.
Joao Pereira n’en croyait pas ses oreilles. Celui qu’il
tenait pour son ennemi juré lui offrait un moyen de se débarrasser à bon compte
de l’importun. Une fois installé à Porto Santo, celui-ci ne vaticinerait plus
dans les rues, sous le regard amusé des fidèles. Les deux hommes scellèrent
leur accord autour d’un pichet de vin. Le curé avait casé son fils et ne se
souciait plus du reste. Quant au Génois, il avait fait d’une pierre deux coups.
Il avait rempli l’engagement contracté par Eleazar et, surtout, il écartait le
risque de voir les bourgeois de Funchal déposer plainte contre lui auprès du
Desembargo do Paço, le Grand Tribunal royal. L’enquête aurait démontré aisément
qu’il avait invoqué à tort les ordres du prince héritier, un abus d’autorité
qui aurait pu lui coûter cher.
Sitôt le comptoir et ses dépendances achevés, Cristovao
avait entrepris de mettre en valeur quelques hectares de terre pour y faire
pousser des légumes et y élever des animaux de boucherie. Il avait engagé comme
régisseur un Allemand, Miguel Molyarte, fils de riches fermiers rhénans, qui
dirigeait jusque-là une plantation de cannes à sucre. Il faisait travailler une
trentaine d’esclaves de tous âges, du matin au soir, sans leur laisser un seul
moment de répit. Il expliquait d’ailleurs aisément son attitude à qui voulait
l’entendre :
— C’est un mauvais service à leur rendre que de les
laisser désœuvrés. Il ne faut pas leur permettre de nourrir le fallacieux
espoir qu’ils retrouveront un jour la liberté. Leur docilité n’est qu’un
masque. Ce sont des brutes épaisses et ils le resteront quoi que nous fassions.
J’ai pris grand soin de veiller à ce qu’ils viennent de contrées différentes.
Rien ne doit leur rappeler leur existence passée.
Révulsé par ces propos, le Génois n’avait pourtant pas voulu
contredire son interlocuteur dont il appréciait le zèle. En quelques mois,
Porto Santo avait été à même de fournir aux navires qui y faisaient escale
d’abondantes provisions de vivres frais. Les capitaines ne cachaient pas qu’ils
étaient heureux de faire relâche dans une île de très petite dimension. Cela
décourageait les éventuelles désertions dans leurs équipages car les fugitifs
n’avaient pas où se cacher.
Quand un navire n’était pas ancré dans le port, l’île
paraissait comme assoupie. Outre les esclaves, elle comptait à peine cinq cents
habitants, des pêcheurs et leurs familles, qui approvisionnaient Madère en
poisson frais ou fumé, et en rapportaient du bois. Le soir, les hommes se
tenaient devant leurs humbles maisons, ravaudant leurs filets, dos à la mer,
pour bien montrer que, si celle-ci était leur gagne-pain, ils ne la
considéraient pas moins comme un monde
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