Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
détourner des affaires intérieures du royaume.
Cristovao ne tarda pas à remarquer qu’ils se comportaient comme de véritables
fouines. Ils observaient les faits et gestes des matelots et tentaient
d’écouter les conversations qu’il avait avec l’ouvidor et le pilote. Face à
José Vizinho, ils se montraient particulièrement obséquieux, approuvant
chaudement chacune de ses remarques et foudroyant du regard mestre Rodrigo
quand ce dernier, épuisé par une journée de travail et de discussions, débitait
des histoires salaces en prenant à témoin les étoiles.
Dès qu’ils furent en haute mer, Cristovao éprouva un curieux
sentiment, un mélange de joie et d’inquiétude. Il n’avait pas navigué depuis
des mois et l’air marin le grisait. Il aimait à se tenir à l’avant du navire,
s’émerveillant de voir la proue fendre les flots, rejetant de part et d’autre
une écume blanche. Au matin du quatrième jour, il perçut comme un changement
soudain. Les oiseaux, qui virevoltaient jusque-là au-dessus du bateau, avaient
disparu. L’on n’entendait plus que les invectives des marins et le claquement
des voiles battues par le vent. Les matelots, de temps à autre, poussaient des
cris joyeux quand ils voyaient des poissons sauter par-dessus les vagues. Cela
les rassurait de deviner un signe de vie en plein cœur de la mer Océane.
Le soir, après avoir chanté le Salve Regina, ils se
rassemblaient en petits groupes près de la tente où les savants avaient pris
leur repas. Ils chantaient jusque tard dans la nuit. Cristovao avait dû
l’admettre, il peinait à trouver le sommeil alors que, toute la journée durant,
il courait d’un bout à l’autre du pont pour donner des ordres et surveiller la
bonne exécution des manœuvres ordonnées par le pilote. Il avait beau être
perclus de fatigue, il retardait jusqu’à l’extrême le moment où ses yeux se
fermeraient. Le matin, à son réveil, il était tout étonné d’être encore en vie,
comme si la logique aurait voulu que le bateau sombre tandis qu’il se reposait.
Une nouvelle journée commençait alors, ponctuée de menus incidents dont la
répétition avait quelque chose de rassurant. Ne songeant alors qu’aux ordres à
donner, il en oubliait l’immensité des flots qui l’entouraient.
Il en voulait presque au ciel de ne pas être couvert de ces
lourds nuages annonciateurs de tempêtes. Au moins alors, face aux éléments
déchaînés, il aurait trouvé à s’occuper, donnant des ordres secs et précis aux
matelots tout en surveillant l’état de la voilure. Dans ces moments-là, la peur
cessait de lui tenailler le ventre. Il se souvenait encore du premier coup de
vent sérieux qu’il avait essuyé, jeune, au large de la Corse. Il avait passé de
longues heures coincé contre le bastingage, bien décidé à empêcher qu’un paquet
de cordes ne passe par-dessus bord. À aucun moment, il n’avait eu réellement
conscience du danger qu’il courait. Leur bateau menaçait de se rompre ou d’être
renversé par une forte vague. Il aurait sans doute été plus utile en aidant ses
compagnons aux pompes pour évacuer l’eau des cales. Non, il n’avait eu alors
d’autre souci que de maintenir en place un paquet de cordes dont personne ne
s’était servi jusque-là et qui ne servirait peut-être pas durant la traversée.
C’était idiot, totalement idiot, il avait toutefois eu l’impression que son
geste avait permis au navire de sortir indemne de la tempête.
Depuis, il en avait fait une règle de conduite. Quand il
voyait un mousse trembler de tous ses membres durant un fort coup de vent, il
lui confiait une tâche absurde. Il lui ordonnait par exemple de protéger des
flots son écritoire. Le malheureux s’exécutait, serrant l’objet contre sa
poitrine, se dissimulant dans un recoin de la cabine en espérant qu’un paquet
d’eau n’envahirait pas celle-ci. Le gamin ne pensait plus qu’à sa mission. Le
calme revenu, il se présentait devant Cristovao. Celui-ci, occupé à évaluer les
dégâts, mettait plusieurs minutes à comprendre pourquoi ce garnement, aux
cheveux ébouriffés, au visage marqué par l’effort, se tenait devant lui,
portant son écritoire comme un précieux reliquaire. Quand la mémoire lui revenait,
il lançait au mousse, dont le cœur se gonflait d’orgueil, un clin d’œil
complice et le félicitait chaudement devant les autres marins. À chaque fois,
cela marchait.
Un matin, il entendit
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