Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
quelques dizaines de guerriers nus qui
pourront s’emparer de cette forteresse où nous pouvons entasser autant de
provisions qu’il faut.
Cristovao avait feint l’étonnement :
— Certes, mais à quoi nous sert cette place forte
puisque cette terre ingrate et sournoise ne paraît pas contenir de grandes
richesses ? Moins en tous les cas que les points où des comptoirs avaient
jadis été installés par l’infant Enrique. À quoi bon franchir de telles
distances si c’est pour en rapporter un peu de poudre d’or et des plumes
d’autruche ?
Le médecin l’avait toisé d’un œil mauvais :
— Ce n’est pas ce que nous recherchons. Notre priorité
est de trouver le passage vers l’Inde.
— Ne vous en déplaise, avait rétorqué Cristovao, vous
poursuivez une chimère. Ce passage n’existe pas ou, alors, il est situé si bas
qu’il faudra des années pour y parvenir. À votre place, je renoncerais à
gaspiller des sommes folles en vain.
José Vizinho avait blêmi :
— Mesurez vos paroles, messire Cristovao. Ce sont là
des questions auxquelles vous n’entendez rien. Mais, vous connaissant,
j’imagine que vous avez votre propre solution.
— J’ai effectivement mûrement réfléchi à ce problème et
je n’avance rien qui ne puisse être prouvé. Je suis persuadé qu’il existe une
autre route sur la mer Océane et qu’il est possible de gagner Cypango en
partant de Lisbonne et en prenant la direction de l’ouest. Et cela en moins de
temps qu’il ne nous en a fallu pour parvenir à La Mine.
Le médecin s’esclaffa :
— On m’avait dit que vous êtes un rêveur. Je ne
m’attendais pas cependant à ce que vous déraisonniez autant. Auriez-vous bu
plus que de raison ?
— Point n’est besoin de m’insulter. Il n’est pas bon de
boire du vin sous la zone torride, j’ai pu le constater. À moins de le mélanger
avec beaucoup d’eau, ce que font les soldats de cette forteresse. Je les ai
bien observés, contrairement à vous qui ne vous préoccupez que des étoiles. Je
comprends que mes paroles vous surprennent et vous intriguent. Je crois
cependant qu’en plusieurs occasions vous n’avez eu qu’à vous féliciter de la
sûreté de mon jugement. Je ne demande qu’une chose.
— Laquelle ?
— Chacun sait que vous êtes à la tête des hommes de
Sagres, dont le nom fait frissonner de peur ceux qui le prononcent. Pas moi, en
tout cas. Plus maintenant, du moins, depuis que j’ai vécu à vos côtés. J’ai
appris à vous connaître et vous crois gens de bien. Vous êtes les dévoués
serviteurs du roi et vous le conseillez sur les entreprises maritimes de son
royaume. C’est là votre seule fonction même si des esprits mal intentionnés
vous prêtent d’autres pouvoirs et que vous laissez dire pour imposer votre
autorité. Je sais en tous les cas une chose…
— Que je brûle d’apprendre !
— Vous n’aviez pas besoin de mes services. L’ouvidor
Antao Correa y aurait largement suffi. Il est expérimenté et très avisé. Si je
suis ici, c’est que vous avez voulu m’observer de près et savoir ce dont je
suis capable.
— Je vous trouve bien présomptueux.
— Tout au plus assez averti pour savoir que je vous
dois mille remerciements de m’avoir permis de découvrir la côte de Guinée et
d’enrichir ainsi mes modestes connaissances.
Jusqu’à leur départ, Cristovao n’eut guère l’occasion de
revoir José Vizinho, très occupé à vérifier avec ses compagnons l’exactitude de
leurs calculs. Durant le voyage de retour, les « hommes de Sagres »
tinrent de longs échanges, prenant grand soin de baisser le ton lorsque
Cristovao s’approchait d’eux.
À leur arrivée à Lisbonne, alors qu’il s’apprêtait à quitter
le navire, le médecin juif se tourna vers lui.
— J’ai longtemps réfléchi à ce que vous m’avez dit de
Cypango et de la possibilité d’y arriver par une route dont vous auriez le
secret. Il m’est interdit de négliger cette éventualité, ce serait manquer à
mes devoirs envers le roi. Je le conseille pour tout ce qui touche à
l’agrandissement de ses domaines. Sachez que nous vous attendons, dans deux
semaines, à la Maison de La Mine, pour entendre vos explications.
*
Cristovao toussota afin de s’éclaircir la voix puis se lança
d’une traite :
— Nobles seigneurs, mille grâces vous soient rendues
pour l’attention que vous prêterez à mes propos. Vous le savez, depuis des
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