Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
fruits, de faire leur apparition. Le troc commençait,
sous la surveillance des interprètes, dont il devinait qu’ils y trouvaient un
certain profit. C’était étrange. Ces êtres, nus comme Adam et Ève au paradis,
avaient surgi de nulle part et détalaient comme des lapins dès qu’on faisait
mine de vouloir les suivre à l’issue de la palabre. La terre paraissait les
engloutir. Les alentours semblaient vides de tout village.
Il n’en avait jamais vu. Aucune fumée ne montait dans le
ciel, indiquant la présence de huttes.
Quand on les interrogeait, les sauvages pointaient le bras
en direction de l’horizon, affirmant rituellement qu’à deux ou trois journées
de marche se trouvait la capitale du « roi de l’or », comme ils
l’appelaient, une ville entourée de formidables remparts. Elle possédait
plusieurs marchés où se vendaient les produits les plus divers. À chaque fois,
c’était la même désillusion. Trois jours s’écoulaient sans qu’il ne découvre la
moindre trace de ville et les indigènes n’en continuaient pas moins à débiter leurs
sornettes et à lui raconter les mêmes fadaises. Cristovao avait compris qu’ils
lui mentaient effrontément. Ils ne cherchaient qu’une chose : l’éloigner
de leurs huttes et de leurs champs et le voir gagner les terres de leurs
voisins et, probablement, ennemis. Il aurait pu poursuivre sa route pendant des
mois et des mois, sans jamais rien trouver. Cette terre était encore plus
immense que la mer Océane. Des êtres humains y vivaient, preuve que,
contrairement à l’opinion de Ptolémée et de quelques autres, la zone toride
était habitable. Mais à quel prix ? Celui d’une existence bornée par la
pauvreté, la misère et la crainte des bêtes féroces dont les traces se lisaient
clairement sur le sol rouge.
Il n’y avait rien à attendre des naturels du pays, aux visages
barrés d’étranges cicatrices. En apparence, c’étaient des êtres doux et
craintifs, à l’intelligence bornée. Dès qu’on avait le dos tourné, ils se
révélaient être de véritables gredins, dérobant tout ce qui se trouvait à leur
portée et éclatant d’un rire stupide quand on les prenait sur le fait. Ils n’en
éprouvaient aucune honte. C’était comme un jeu et ils s’y livraient avec une
rare obstination. Cristovao s’en était amusé. Il n’avait sévi qu’une seule
fois, lorsque l’un de ces sauvages s’était emparé d’un crucifix de métal dont
il s’était servi comme d’un peigne planté dans ses cheveux. Il avait surpris
l’homme en train de parader devant ses congénères, dansant comme un beau
diable, la mine hilare. Il l’avait fait pendre à la branche d’un arbre. Terrorisés,
ses compagnons s’étaient enfuis dans les herbes auxquelles ils avaient mis le
feu, obligeant les étrangers à lever précipitamment leur camp pour échapper aux
flammes qui se propageaient à une folle vitesse.
Cristovao en était désormais convaincu. L’Afrique était une
gigantesque masse de terres plantées là pour barrer la route aux voyageurs les
plus audacieux. Il avait entendu José Vizinho expliquer qu’en son milieu se
trouvait un formidable lac d’où partaient plusieurs fleuves, en particulier le
Nil, et qu’il suffirait de le trouver pour parvenir sans encombre jusqu’au
royaume du Prêtre Jean. Ce lac, il le savait maintenant, n’existait pas. Quant
à l’idée de contourner l’Afrique et de trouver le passage menant à l’Inde,
c’était une dangereuse illusion. La terre s’étendait à perte de vue et rien
n’indiquait qu’elle eût une fin. C’était d’ailleurs ce que lui avait confié, à
Boa Vista, Diogo Cao. Il lui avait raconté que, lors d’un précédent voyage, il
avait découvert un fleuve dix fois plus large que le Tage qu’il avait remonté
pendant plusieurs jours. Jusqu’à ce que sa route soit barrée par de
gigantesques chutes d’eau qui formaient une véritable barrière interdisant
toute progression à l’intérieur des terres. Il avait fait demi-tour et continué
en direction du sud, pour constater que la côte, dépourvue de bon mouillage, se
déroulait à l’infini.
Dès son retour à La Mine, après plus de deux mois passés
dans la savane, Cristovao avait rendu compte à José Vizinho et à ses compagnons
des résultats de son expédition. Le médecin juif avait paru comme
soulagé :
— Voilà qui nous dispense d’entretenir ici une
nombreuse garnison. Ce ne sont pas
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