Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
dangereux.
— Je me connais assez pour savoir qu’ils seraient
naturellement sortis de mes lèvres si j’avais évoqué la croisade. J’ai donc
préféré n’en rien dire, au risque de passer pour un capitaine qui réclame le
commandement d’un navire parce que l’inactivité lui pèse. Je ne suis pas sûr
que cela aurait été très approprié.
Cristovao dut patienter une semaine avant d’être convoqué à
nouveau à la Maison de La Mine. Sans s’embarrasser de préliminaires, José
Vizinho l’apostropha rudement :
— Il manquait un point essentiel à votre démonstration
de l’autre jour. Vous nous avez beaucoup parlé de degrés. Vous avez simplement
oublié d’en préciser la mesure.
— Je la croyais connue de vous.
— Et s’il nous plaît de l’entendre de votre
bouche ?
— Il en sera fait selon votre désir. Pour ma part, je
m’en tiens, comme beaucoup d’autres, aux calculs d’Alfraganus le Maure, qui
estime à 56 milles et deux tiers le degré, ce qui évalue le pourtour de la
terre à 20 400 milles.
— Ce n’est pas ce que disent Ératosthène ni Ptolémée,
dont l’autorité est supérieure à celle d’Alfraganus.
— Lors de notre voyage à la côte de Guinée, j’ai
observé avec attention les relevés faits par le pilote d’après vos indications.
Vous preniez soigneusement la hauteur du ciel avec l’échelle de Jacob. J’ai
fait de même. À chaque fois, j’ai trouvé que mes résultats concordaient avec
les données d’Alfraganus et avec les vôtres. Le pilote m’a confirmé que vous
estimiez à 20 400 milles le tour de la terre sous la zone équatoriale, là
où se trouve La Mine.
— Ainsi donc, vous m’avez espionné !
— Que nenni ! Je me suis contenté de vous imiter.
C’était le seul moyen pour moi de m’assurer que je ne faisais pas fausse route
et que mes estimations étaient exactes.
— Admettons, mais à combien estimez-vous le
mille ? Car vous n’avez toujours pas répondu à ma question.
— À 14 lieues, qu’il faut réduire à 12,5 si je partais
des Canaries.
— J’entends bien, mais nous ignorons de quel mille vous
vous servez ? Du mille italien ou du mille arabe ?
— En tant que Génois de nation, j’utilise souvent le
premier ; le mille italien.
— Cela vous arrange. Il est le plus court.
— Je vous le concède.
— Et c’est là que le bât blesse. Vous ne retenez que ce
qui vous arrange. Est-ce une raison suffisante pour vous confier des
navires ?
— Vos paroles me comblent d’aise. Cela signifie que
vous n’excluez pas cette hypothèse…
— Tout doux, mon ami, nous n’en sommes pas encore là.
Car d’autres difficultés subsistent. Je doute fort que vous puissiez jamais
trouver un équipage qui accepterait d’embarquer pour un tel voyage qui pourrait
durer des mois. Jamais vous ne pourrez prendre à bord assez de nourriture et
d’eau pour pourvoir à son ravitaillement, et vous n’avez aucune garantie de
trouver des îles sur votre route. L’équipage mourra de faim et de soif avant
d’atteindre Cypango.
L’évêque de Ceuta renchérit sur les propos de José
Vizinho :
— Il est hors de question de vous laisser envoyer à la
mort de bons Chrétiens, et tout cela dans le seul but de satisfaire la
curiosité d’un rêveur. Oserez-vous regarder en face ces hommes quand ils se
présenteront devant vous ? Leur annoncerez-vous alors la vérité ?
Leur direz-vous que vos affirmations se fondent sur de pures
spéculations ? Un assassin, voilà ce que vous êtes.
Cristovao se redressa, incapable de maîtriser sa
colère :
— C’est sans doute ce que vos prédécesseurs ont dit au
prince Enrique le Navigateur quand il a prétendu vouloir doubler le Cap
Bojador. Là encore, c’était envoyer des hommes à la mort ! C’est ce
qu’affirmaient tous les savants. Et vous avez l’outrecuidance de vous présenter
comme un admirateur de cet illustre prince. Par Dieu, voilà qui est bien
singulier ! Je vous le dis, avec les marins qui accepteront de naviguer
sous mes ordres, je rejoindrai Cypango en moins de temps qu’il n’en faut pour
aller de Lisbonne à La Mine et aussi sûrement !
José Vizinho l’interrompit :
— À ceci près que les navires qui vont en Guinée
suivent la côte et peuvent faire l’aiguade dans les mouillages connus. Là, vous
partez à l’aventure et vous ne pourrez faire escale nulle part.
— Non. Je compte bien atteindre Antilia et
Weitere Kostenlose Bücher