Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
entendu, un
sourire narquois sur les lèvres. À la manière dont il scrutait la carte établie
par le Génois, on pouvait deviner qu’elle ne lui était pas totalement inconnue.
Il y trouvait sans doute confirmation de ce qu’il avait déjà pressenti et avait
craint d’exposer par peur du ridicule.
L’évêque de Ceuta le regardait d’un œil mauvais, comme s’il
avait tenu des propos entachés d’hérésie. Cristovao savait que le prélat était
peu porté sur les questions théologiques ; sans doute ne lui pardonnait-il
pas le mauvais tour qu’il lui avait joué à Boa Vista. Quant aux deux barons,
l’un d’entre eux s’était assoupi, l’autre observait ses voisins et cherchait à
modeler sa conduite sur la leur.
Au bout d’un long moment, José Vizinho rompit le
silence :
— Nous avons pris bonne note de ce que vous avez dit et
qui nous étonne fort. Convenez que vos propos méritent ample réflexion. Ce
serait vous faire injure que de ne pas prendre le temps de les méditer et de
formuler nos remarques et nos objections. Nous vous les ferons connaître le
moment venu. Pour l’heure, sachez que rien de ce qui a été dit ici ne doit
transpirer au-dehors.
Cristovao était rentré chez lui, littéralement épuisé par
l’effort qu’il avait fourni. Ce n’était point de gaieté de cœur car il régnait
dans son logis une atmosphère lugubre. À son retour de Guinée, il avait trouvé
Dona Felippa au plus mal. Elle n’était pas sortie de sa chambre depuis des
semaines et consentait à peine à se nourrir. Frère Juliao, qui lui rendait
souvent visite, avait prévenu son ami : elle n’éprouvait aucune douleur
physique, du moins l’affirmait-elle, et il était enclin à la croire. Elle
n’avait tout simplement plus le goût de vivre. Elle était suffisamment bonne
Chrétienne pour ne pas chercher à hâter sa fin, mais celle-ci pouvait survenir
à tout moment en raison de son état de grande faiblesse.
Pour frère Juliao, Cristovao ne devait pas se sentir
coupable. Quelque chose s’était cassé en Dona Felippa bien avant leur rencontre
et, en l’épousant, il lui avait donné quelques années de répit. Elle semblait
s’être résignée à son sort et avait été comme soulagée par le départ de son
mari pour La Mine. Ils avaient de la sorte pris congé l’un de l’autre, sans
drame, sans pleurs. D’après le frère Juliao, Dona Felippa souhaitait qu’à son
retour il se comporte comme s’il était déjà veuf. Il eut beau tempêter,
protester, menacer de forcer sa porte, elle lui fit savoir qu’elle le suppliait
de la laisser en paix.
Après sa comparution à la Maison de La Mine, Cristovao avait
dormi près de dix-huit heures d’affilée. À son réveil, il découvrit frère
Juliao à son chevet qui l’observait attentivement et qui le taquina :
— Rien de plus épuisant que d’écouter les tirades de
savants désireux de faire étalage de leur érudition. Vos interlocuteurs ont
tout fait pour vous précipiter dans les bras de Morphée !
— Détrompez-vous. L’un d’entre eux s’est assoupi en m’écoutant,
ce qui est plutôt mauvais signe. Les autres sont demeurés muets mais je crains
fort qu’ils n’aient guère apprécié mes propos.
— Voilà qui est peu habituel chez toi. Tu es plutôt
d’un naturel optimiste.
— Je leur ai exposé mon projet mais, je le réalise, je
l’ai fait sans conviction. Tu es le seul à le savoir, je n’apprécie pas
particulièrement les voyages. L’idée de franchir la mer Océane ne m’intéresse
pas en elle-même. Tôt ou tard, quelqu’un le fera, peut-être par inadvertance.
Je ne me sens pas l’âme d’un découvreur. La seule chose qui me pousse vers
Cypango, c’est l’assurance que ses richesses considérables me permettront de
financer la croisade destinée à délivrer le Tombeau du Christ. Si elles étaient
utilisées à autre chose, je renoncerais à prendre la mer car ce serait pécher
par orgueil et vanité que de vouloir accoler mon nom à un périple dépourvu d’un
noble objectif.
— Pourquoi n’en as-tu pas parlé ?
— C’eût été imprudent. Mestre Rodrigo et mestre José
Vizinho sont juifs et, si j’avais parlé de croisade, je m’en serais fait des
ennemis. Les deux barons ne savent pas ce que veut dire ce mot. Et l’or, à
leurs yeux, doit servir à rembourser leurs dettes. Quant à l’évêque, le Christ
est le dernier de ses soucis.
— Voilà des propos bien
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