Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
savait qui il était et il en imposait
à tous par une sorte d’autorité quasi naturelle.
Lors d’une de ces bagarres, Cristobal eut la surprise de
rencontrer un matelot qu’il avait jadis employé à Lisbonne et à Porto Santo.
L’homme le reconnut et le salua d’un ton goguenard :
— Messire Cristovao, que faites-vous dans ces
parages ? Ces maudits Portugais vous ont-ils envoyé ici pour nous
espionner ? Prenez garde, il pourrait vous en cuire si vous cherchez à
nous nuire !
— Rassure-toi, j’ai quitté Lisbonne à tout jamais. Et
qu’aurais-je donc à découvrir ici qui pourrait vous valoir des ennuis ?
— C’est que nous sommes plusieurs ici à nous rendre à
la côte de Guinée dans le plus grand secret pour nous y procurer de l’or et des
esclaves. Enfin, de l’or surtout, car les esclaves se vendent mal. Ils ne
trouvent pas preneur.
— Par Dieu, contre quoi les échangez-vous ? Cette
terre est tellement ingrate qu’elle suffit à peine à nourrir ses habitants. Mon
ami Rodrigo me le confirmera sans nul doute, je vois mal des négociants de
Séville ou de Cadix fournir à crédit des marchandises à des gredins comme toi.
— Êtes-vous prêt à jurer sur les Écritures que vous
n’êtes plus au service du Portugal ?
— Douterais-tu de ma parole ?
— Non. Je vous sais fort honnête homme et vous m’avez
plus d’une fois épargné le fouet que je méritais amplement… Nous profitons de
la bêtise des sauvages. Aux Canaries, nous nous procurons à bon compte de
grands coquillages vermeils qui leur tiennent lieu de maravédis et de ducats.
Cela durera ce que cela durera mais, tant qu’ils se contenteront de nos
coquillages, nous sommes assurés de gagner de quoi vivre. Enfin, si les
Portugais ne nous font pas prisonniers, vous savez comment ils en usent avec
nous. Une corde leur suffit pour imposer leur loi scélérate. Mais ce ne sont
pas nos seuls ennemis. Il nous faut aussi échapper à la rapacité des agents du
fisc, les recibidores del quinto, ces maudits aigrefins qui prélèvent
pour la couronne de Castille le cinquième de la cargaison. Ce sont de
véritables sangsues que nous trouvons sur notre chemin, à l’aller comme au
retour. Fort heureusement, ces rapaces se font plus rares ces derniers temps
grâce à la protection que nous accorde le duc de Medina Sidonia. Moyennant
finances certes, mais il est moins cupide que le Trésor royal et il sait qu’il
a besoin de nous.
Cristobal avait pris congé du marin après l’avoir régalé de
plusieurs pichets de vin. L’homme était peut-être un vaurien mais il lui avait
fourni de précieuses informations. Rodrigo Enriquez de Harana avait écouté, les
yeux mi-clos, leur conversation, souriant parfois aux affirmations de l’homme.
Il fit remarquer à son compagnon :
— Je vous avais dit que vous ne seriez pas déçu de ce
voyage. Admettez que je n’ai pas eu tort de vous presser de m’accompagner.
Laissez-moi vaquer à mes occupations et puis, comme je vous l’ai promis, nous
irons demain rendre visite aux moines de la Rabida. Vous paraissez très
désireux de rencontrer certains d’entre eux.
Cristobal ne savait trop quelle attitude adopter envers
Rodrigo. Celui-ci était un bon vivant et semblait l’avoir pris en affection.
Néanmoins, il paraissait être au courant de bien des secrets, plus qu’il ne le
laissait entendre. Il ne faisait rien toutefois pour le dissimuler, ce qui
était un gage de sincérité ou de bonne foi plus que de duplicité. Il le vérifia
lors de leur visite à la Rabida.
Le monastère se situait en bordure du delta, telle une
citadelle étendant sur les flots son ombre protectrice. C’était une construction
imposante à laquelle on parvenait par un mauvais chemin serpentant à travers
des champs en friche. Là encore, la chance était de leur côté. Le frère portier
leur confirma que le père Antonio de Marchena était arrivé la veille de Séville
et qu’il se trouvait pour l’heure en grande conversation avec le nouveau
prieur, frère Juan Perez. Tous deux seraient enchantés de recevoir les deux
visiteurs si ceux-ci daignaient patienter. À l’accueil chaleureux qui leur
était réservé, Cristobal avait compris que Rodrigo Enriquez de Harana était ici
si ce n’est chez lui, du moins en pays connu. Sans doute devait-il contribuer
généreusement à l’entretien du monastère car le portier avait ajouté qu’ils
trouveraient plaisir à constater certains
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