Chronique de mon erreur judiciaire
m’arrive. Je dois dormir ! Je vais me réveiller.
Mais non, on m’enferme dans une pièce, me retire les menottes, puis on me fait asseoir sur une chaise devant un bureau. Là, on m’attache la main droite. Par une courte chaîne, je suis aussi tenu au sol. Cette position inconfortable a pour effet de me déstabiliser et de me fatiguer : en effet, comme la chaîne est trop courte, la position assise, bien droit sur la chaise, m’est impossible. Grâce à ce système, je penche toujours du côté où ma main est retenue. Et je m’épuise.
Au bout d’une demi-heure, un des policiers venus à mon domicile s’installe en face de moi. En ajustant sa machine à écrire, il expose les faits qui me sont reprochés. Des assertions horribles, indescriptibles. La nausée m’envahit. Le détail ignoble de son récit, les souffrances endurées par ces enfants me révoltent : j’apprends qu’ils ont été violés, pénétrés par des godemichés, voire victimes d’actes de zoophilie ! Et c’est moi qu’on accuse de maux aussi ignobles, de tortures aussi ignominieuses. Sous le choc de ces perversions et de ces accusations, je plonge dans un désarroi irréel.
Pire, je suis accusé d’avoir participé à ces orgies de nombreuses fois. Odile et moi ferions même partie d’un vaste réseau de pédophilie passant par la Belgique, et serions en possession de cassettes de ce genre destinées à la vente. Je tombe des nues. L’histoire est, tellement énorme, les accusations qui pèsent sur nous tellement scandaleuses et grotesques que je ne parviens pas à réagir. D’autant, m’explique-t-on, que cette affaire, paraît-il, ne date pas d’hier. Elle aurait commencé voilà six ans ! Au fil du récit de ces immondices, je sors de mon hébétude. Comment ose-t-on me confondre avec de pareilles pratiques ? Pourquoi m’accuse-t-on d’avoir été mêlé à de telles horreurs ?
À ce stade, j’entre dans le moule du présumé coupable qui clame son innocence mais que l’on refuse de croire. Pire, puisque j’ai été dénoncé, je semble aux yeux des enquêteurs obligatoirement coupable.
Dès lors, ce premier interrogatoire ne se passe pas bien puisque je conteste les faits. L’officier de police judiciaire qui m’interroge fulmine parce que je nie ce qui lui semble être l’évidence. Je me fais même copieusement insulter, traiter d’« enculé », de « salopard », de « monstre ». Et, pour ponctuer ses phrases, ce fonctionnaire n’hésite pas à taper du poing sur le bureau. Un interrogatoire de film policier au détail près que je n’ai pas de projecteur dans les yeux et que je ne suis pas face à un comédien, mais devant un représentant de l’ordre qui joue avec ma liberté et ma vie.
Après ce déferlement verbal et psychologique inimaginable, ce déluge d’injures, de vociférations haineuses, le policier se lève d’un bond et fond d’un trait en ma direction. Tout à coup, il est presque sur moi. Apeuré, je lui demande s’il va me frapper. Il lève alors la main et me dit : « Pourquoi, t’en veux une ? » Je tremble de peur, m’attendant à recevoir une gifle, voire un coup de poing. Je ferme les yeux, n’ayant que cette solution pour occulter la sinistre réalité. Je ne peux pas m’enfuir, je n’ose même pas crier. Mais rien ne se passe. Et lorsque j’entrouvre les paupières, le policier, redevenu miraculeusement calme, est à nouveau à sa place et m’observe.
*
L’interrogatoire s’achève. Je signe ma déposition après l’avoir relue. Ma main droite est enfin détachée ; j’ai le poignet rougi et mal dans le bas du dos.
Il est 22 heures. Dans mon esprit, on va me reconduire chez moi où je vais retrouver ma femme et mes enfants.
Hélas, je me trompe encore. En passant devant le juge d’instruction, celui-ci m’informe que ma garde à vue est prolongée. Il ajoute même, semblant satisfait, qu’un de mes fils a fait des révélations importantes et que j’ai tort de m’entêter. De quoi s’agit-il ? Je l’ignore. J’apprendrai plus tard que Sébastien a raconté que je lui avais une fois tiré le zizi, terme transformé en « masturbation ». Peut-être qu’un jour, lorsque nous chahutions et jouions à la bagarre, comme beaucoup de pères et fils, l’ai-je touché sans le faire exprès afin de repousser ses attaques ? Sous la pression d’un interrogatoire policier, a-t-il mal interprété ce geste ? Je ne sais pas. En tout cas,
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