Chronique de mon erreur judiciaire
un texte de cette nature. La réaction du policier qui me fait face est immédiate : une avalanche d’injures s’abat sur moi, dans un langage tellement ordurier que ma bonne éducation m’interdit de les relater. Je suis d’accord pour signer ma déposition du jour, mais en aucun cas de faux aveux. À ce moment, un autre enquêteur entre enjeu. Et je me retrouve dans une scène de théâtre miniature. Le rédacteur de mes aveux fictifs se prend en effet à fustiger son subalterne, furieux de constater la teneur de mes propos niant les faits.
*
Quand on me demande si j’accepte une analyse ADN, je me crois sauvé. Enfin, on pourra se rendre compte de mon innocence. Je subis donc le prélèvement de salive sur un Coton-Tige, sûr que la vérité éclatera bientôt. Erreur ! Grave erreur ! Emporté dans le circuit policier et judiciaire, le calvaire ne fait que commencer.
Peu après, on m’isole un instant et un policier de service s’assoit en face de moi. Très correct, bienséant, j’ai envie de lui faire confiance puisqu’il joue le rôle du gentil. Je renouvelle mes protestations d’innocence. Finit-il par me croire ? En tout cas, il me dit qu’une erreur a pu être commise. Néanmoins, il me conduira le lendemain devant le juge d’instruction.
Revenu en cellule, j’entends Odile pleurer. Je frappe sur le mur mitoyen, lui crie que je l’aime, qu’elle ne doit pas s’en faire, que c’est bientôt terminé. Elle ne m’entend pas. Malgré le froid et mon mal au dos, je parviens à dormir par intervalles successifs de petits quarts d’heure. Au milieu de la nuit, un autre détenu est poussé dans la pièce. Un clandestin, vraisemblablement. Je lui prête deux de mes couvertures sales et nous essayons de communiquer. Mais il ne parle ni français, ni anglais, ni allemand. Les yeux dans les yeux, nous utilisons des gestes et quelques bribes d’italien. Le langage des mains est-il plus sincère que la parole des hommes ? Et moi, pourquoi persiste-t-on à ne pas vouloir me croire ?
Chapitre 3
Face à l’opprobre
ou
Le palais de justice de Boulogne-sur-Mer
On vient m’extirper de ma geôle, je marche difficilement. Harassé, épuisé, courbatu, on me presse car nous sommes les derniers. Le policier qui m’accompagne dit m’accorder confiance et me fait grâce des menottes. Ses collègues en tenue me rendent mes lacets de chaussures et mes effets personnels. Je signe que tout m’a bien été restitué. C’est seulement après être monté dans une voiture de police que je m’aperçois qu’ont été oubliées ma chaîne et ma croix. Je ne les reverrai jamais. Dieu m’a-t-il abandonné ?
*
Palais de justice de Boulogne-sur-Mer. Une foule se presse devant le tribunal. De très nombreux journalistes sont présents, les flashes crépitent. Nous sommes le 16 novembre 2001. Les médias multiplient les gros titres sans nuances : « Seconde vague d’arrestations dans le réseau pédophile international » et encore « Arrestation de six notables : l’huissier de justice et son épouse, le chauffeur de taxi, le prêtre-ouvrier, un supposé gérant de sex-shop et son fils ». Un flot de honte me submerge. Je m’allonge au pied de la banquette pour ne pas être vu. La voiture s’engouffre dans le garage du palais et je me tiens caché jusqu’à l’arrêt. Moi qui ai toujours été étonné de voir, aux informations télévisées, des personnes se dissimuler le visage devant les cameramen, aujourd’hui je comprends pourquoi. Il faut vivre ce moment pour savoir ce que l’on éprouve : on a honte d’être « mis en pâture » et le fait de se cacher amenuise la peine.
En cellule d’isolement, un local un peu plus grand et moins sale que la geôle habituelle, je rencontre pour la première fois mon avocat, venu avec une de ses adjointes. Nous discutons du dossier et sa collaboratrice m’apporte un café réconfortant. Par deux fois, il sort de la pièce en quête de bonnes nouvelles et m’apprend ce que je sais déjà : le dossier est vide et il n’y a aucune charge sérieuse contre Odile et moi. Rassuré, je me vois déjà sortir du palais la tête haute, fier d’expliquer aux journalistes la bévue commise, et l’horreur des heures pénibles perdues en garde à vue. Mes illusions sont vraiment immenses.
*
Je passe devant le juge d’instruction, celui-là même qui s’est présenté à mon domicile lors de la perquisition. Il renouvelle l’énoncé des horribles
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