Chronique de mon erreur judiciaire
répond sans fioritures : « Ta gueule ! Tu ne vas pas nous faire chier avec ça ; si tu veux des cachets, on t’en donnera. » Je préfère ne pas insister, étant toujours sur le qui-vive. On me réinterroge avec la même violence verbale et je persiste à proclamer la vérité, sachant pourtant pertinemment qu’on attend autre chose de moi. Après tant de pressions, je signe ma déposition dans un état second et regagne ma geôle comme un fantôme.
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Quelques heures plus tard, rebelote. Même pièce, nouvel interrogatoire Comme dans un feuilleton américain, plusieurs policiers me questionnent, à tour de rôle, ou en même temps. En usant d’un vocabulaire violent et grossier. Vais-je être « passé à tabac » ? En tout cas, ils doivent confondre « pédophilie présumée » et « acte sexuel pleinement avéré » Sans que je voie aujourd’hui encore l’intérêt de cette question pour l’enquête, l’un d’entre eux me demande la date de ma dernière relation sexuelle avec Odile. Dans un état second, je lui fournis l’information. Ce dont j’ai honte aujourd’hui : en quoi mon intimité conjugale peut-elle faire avancer le dossier ? Je me souviens même lui avoir dit que ma femme était réglée. Il m’a répondu que je devais alors « la sodomiser, étant un spécialiste » !
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Fin de la séance. Je suis reconduit en cellule où je moisis sur mon banc, perdu dans mes pensées qui vont vers ma famille, ma femme et mes enfants. Que nous arrive-t-il ? Les mâchoires de ce piège vont-elles s’ouvrir enfin pour révéler la vérité ? Hélas non. Un nouvel interrogatoire survient. Cette fois, le policier vociférant change de tactique : il se montre plus conciliant, ne crie plus, m’injurie peu. Il m’assure simplement que je suis un malade qui doit se faire soigner. J’ai beau lui répéter n’être pour rien dans cette horrible affaire, il ne bronche pas, persuadé du contraire, maugréant juste qu’il n’est pas là pour « se faire un huissier », n’ayant rien contre la profession, tout en précisant que je suis « son premier ».
À l’entendre, j’ai l’impression d’être devenu une chose, une proie, un objet qu’il cherche à manipuler à sa guise. Il m’informe ainsi qu’un prêtre est aussi mis en examen pour des faits similaires et, se voulant toujours rassurant, précise bien aimer les curés, mais que cela ne l’empêchera pas de « l’interroger dans les mêmes conditions ».
Le ton de l’interrogatoire évolue. Les policiers qui passent à intervalles réguliers dans le bureau pour me questionner se montrent plus gentils, conciliants. Est-ce une nouvelle ruse ? Devant mes dénégations, ils restent néanmoins incrédules.
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Encore un autre interrogatoire ! Les mêmes questions réapparaissent, mais prononcées de façon plus courtoise. Les autres enquêteurs arrondissent eux aussi leurs manières. Il y en a même un qui me propose un deal : arguant de penser avant tout à ma femme, il me suggère de reconnaître les faits, « même s’ils sont faux ». De la sorte, Odile serait ainsi « libérée sur-le-champ » et pourrait retrouver les enfants.
Je reste prostré, en larmes, devant l’idée ; mais, après tout, ne serait-ce pas mieux pour mes enfants ? Doivent-ils endurer l’absence, eux qui entament leur parcours dans l’existence, alors que moi j’ai déjà vécu ? Ne devrais-je pas me sacrifier pour leur bonheur, même si je signe mon arrêt de mort ?
Épuisé, je craque. Je suis seul avec mon « interrogateur » habituel lorsqu’il me demande d’avouer. Au bord de la catastrophe psychique, le dos en compote, la réflexion en berne, je suis sur le point de reconnaître des faits que je n’ai pas commis quand un sursaut retient mon geste : j’exige de voir ma femme pour lui expliquer ce que je m’apprête à faire. Mais ma requête est rejetée par un policier répondant en ces mots : « Inutile de compter sur ton avocat. Du reste, ce sont tous des connards et seuls les flics peuvent aider les gens. »
Que faire ? Céder ? « Avouer » ? Mentir pour sauver les miens aurait un sens. De nature un peu mystique, je me remémore les Écritures… « Donner sa vie pour ceux qu’on aime », etc. Mais encore faut-il que le jeu en vaille la chandelle !
Après avoir balancé un instant, un éclair de lucidité vient à mon secours. Requinqué un peu par l’exigence de vérité, je refuse de signer
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