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Chronique de mon erreur judiciaire

Chronique de mon erreur judiciaire

Titel: Chronique de mon erreur judiciaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Marécaux
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aucune confiance en moi. Je fais tout mon possible pour m’intégrer dans l’équipe, mais j’éprouve un sentiment de honte. Je le dis sans détour : ce n’est pas facile de passer du statut de titulaire d’une charge d’huissier à simple employé.
    Depuis le verdict de Saint-Omer, et mes passages à la télé, je suis devenu un personnage public que tout le monde connaît et reconnaît. Ainsi je note, le 18 octobre 2004 :
    J’ai toujours peur des regards, je me sens coupable de vivre, moi qui suis devenu un père incestueux, condamné à 18 mois de prison sur un malentendu. J’ai l’impression que mes collègues de travail me le reprochent, me regardent d’un mauvais œil. Je fais maintenant du recouvrement amiable dans la France entière, et sur mes courriers de rappel, je n’indique que mon prénom, à la manière des commerciaux, tant je crains d’être démasqué…
    Mais je progresse dans mon travail, et donne satisfaction à Hervé. Mine de rien, trois années d’arrêt, dans la vie d’un juriste, s’apparentent à un gouffre. De nombreuses réformes sont passées, les techniques ont évolué, notamment l’informatique qui a fait un bond spectaculaire. À moi de m’immerger dans les nouveaux textes, d’assimiler, en quelques mois, trois ans d’évolutions en tout genre. Les innovations auxquelles je dois faire face n’ont pas toutes un caractère purement juridique. Incarcéré avec le franc en vigueur, je suis libéré avec les euros !
    Comme tous les Français, mais en accéléré, avec trois ans de retard, me voilà dans la jungle des sommes à multiplier par 6,5 ou à diviser par 6,5, dans un sens, puis dans l’autre. Et ce qui devait arriver arriva : alors que je réglais une série de factures, j’ai confondu les deux monnaies… et me suis cru riche. Du coup, j’ai émis une série de chèques sans provision et me suis retrouvé interdit bancaire ! Mon père m’a aidé à combler le déficit. Vous imaginez, un ancien huissier de justice qui retravaille chez un autre huissier, et qui émet des chèques sans provision !
    Une autre fois, une seule et unique fois, j’ai donné du souci à mon ami employeur en pétant les plombs lors d’un contrôle de police sur la route. J’avais le portable à l’oreille, deux policiers me font signe de m’arrêter. Je me gare et ne bouge pas. Comme je n’arrive pas à baisser ma vitre, l’un d’eux frappe au carreau. Sans un mot, sans un regard, je donne mes papiers. Il me lance : « Vous pourriez me regarder quand je vous parle ! » Mon sang ne fait qu’un tour. Je décroche ma ceinture de sécurité, sors de la voiture et rétorque, nez à nez avec le flic : « Tu veux que je te regarde ? Alors je vais te regarder. » Il recule, m’interdit de le tutoyer.
    C’est à cet instant-là que j’ai pété les plombs : « Je tutoie qui je veux, et surtout les flics ! Je m’appelle Alain Marécaux, l’huissier d’Outreau. Les flics m’ont toujours tutoyé, alors, pourquoi pas moi ? » Finalement, il m’a rendu mes papiers et m’a juré que j’aurais de ses nouvelles. Une fois de plus, Hervé m’a arrangé le coup, et j’ai échappé à un outrage à agent. Mais je me suis dit que jamais plus je ne perdrais mon sang-froid.
    *
    Tous ces coups de canif dans cette vie calamiteuse ne peuvent toutefois parvenir à occulter ce pas décisif que je viens d’accomplir. En dépit de toutes ces difficultés, je commence à entrevoir la sortie d’un premier tunnel, celui d’une autonomie retrouvée. Je touche mon premier salaire : 850 euros. Au moins, je pourrai manger midi et soir… Maître Delarue se réjouit de ce début de renaissance. À son cabinet, nous évoquons le procès en appel à la cour d’assises, qui s’annonce pour l’année suivante, en novembre 2005. L’échéance se rapproche.
    À la fin de notre entretien, il vient plaquer ses deux mains sur mes épaules. Je le sais heureux de la combativité qu’il sent poindre en moi. « Alors, Alain, on y va, au feu ? » Je retrouve une force que je croyais anéantie à jamais. Une émotion nouvelle s’empare de ma grande carcasse osseuse : l’envie de me battre. Mais aussitôt, je me ravise : je n’ai plus un sou pour régler les honoraires ! Ce à quoi Hubert Delarue rétorque : « Ne t’en fais pas, c’est le service après-vente qui marche ! »

Chapitre 55

À la cour d’assises de Paris
ou
La révolte de six condamnés innocents
    En

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