Chronique de mon erreur judiciaire
tout. Je plane sur ma vie.
Chapitre 54
Le sursaut
ou
Ce trop-plein d’injustices qui me pousse à faire appel
Le sursaut finira par se produire, mais il ne viendra pas du jour au lendemain. Il n’y a pas de remède miracle, pas de potion magique capable de réveiller un suicidaire qui se complaît dans le moelleux – rétrospectivement effarant – de l’enfermement psychiatrique. Simplement, au fil des jours, le handicapé de la vie que je suis devenu se voit rattrapé par une nouvelle existence qui s’impose à lui. Cette nouvelle vie qui se profile mêle quelques rares flashs de moments presque joyeux, auxquels succèdent de longues semaines sombres, gangrenées par une montagne de contrariétés de toutes sortes, de chagrins nouveaux, de soucis imprévus. Mais peu à peu, la tentation de repli se fait un peu moins hermétique, malgré une angoisse indicible que j’éprouve à oser me tourner vers l’avenir.
*
Une mauvaise nouvelle vient encore plomber l’horizon de mon futur proche : Odile veut divorcer. Elle me l’a dit elle-même, à Vannes, où elle s’est installée depuis son acquittement à Saint-Omer. Ce jour-là, j’ai pris le train très tôt pour lui rendre visite. Alors que nous marchions tous deux sur la côte, elle s’est empressée de vider son sac : elle aime un autre homme, elle a envie d’un enfant… Autant de coups de poignard qui me blessent encore un peu plus, même si j’arrive presque à la comprendre, tant je m’en veux, rétrospectivement, de ne pas lui avoir donné la vie qu’elle souhaitait. Je devais m’y attendre, mais je me refuse à le croire.
Je lui demande de patienter au moins jusqu’au procès en appel à Paris. Mais c’est trop lui demander. Je sens qu’elle est pressée. Elle me fait quand même visiter sa nouvelle maison, mignonne, mais petite, « indigne d’elle », comme je l’écris le soir sur mon cahier journal, « indigne du train de vie auquel je l’avais habituée ». Mais je sais aujourd’hui que le bonheur ne se mesure pas au mètre carré…
Cette séparation envisagée par Odile conduit mon avocat à préparer une première audience destinée à décider de la garde de nos trois enfants. Ce qui prime à mes yeux, c’est leur bonheur à eux. Même si l’idée de ne plus vivre avec eux sous le même toit me déchire le cœur, je ne songe pas à m’opposer au droit de garde réclamé par Odile. Maître Delarue n’y va pas par quatre chemins pour m’expliquer que nous n’avons pas le choix : « Alain, il faut laisser les enfants à Odile. Vous êtes malade, SDF, et sans emploi. »
Et fou ? Au milieu de tous ces problèmes qui surgissent et que je me dois d’affronter, je n’en suis plus si sûr…
*
Heureusement, quelques semaines plus tard, cette prochaine audience s’accompagne d’un cadeau qui, à mes yeux, n’a pas de prix : je vais revoir mes trois enfants. J’essaie de leur parler le plus souvent possible au téléphone, mais hélas, c’est surtout pour constater leur mal-être, leur incapacité à se construire, eux dont l’enfance véritable, l’enfance insouciante, entourée de leurs deux parents, a été stoppée nette, suite à leur enlèvement par la police qui les a privés non seulement de leur mère et de leur père, mais aussi, pendant plus d’un an, de nos familles respectives.
Foyer social d’adolescents pour le plus grand, familles d’accueil pour ma fille et mon plus jeune fils : tel fut leur destin à eux, un destin meurtri qui n’a jamais intéressé la justice, indifférente à une souffrance qu’elle ignore d’autant mieux qu’elle en est directement responsable. Je reviendrai plus loin sur ce scandale douloureux qui concerne tous les enfants des treize acquittés d’Outreau.
*
Mais en ce jour mémorable du 17 août, je me réjouis de pouvoir à nouveau les serrer dans mes bras. Rendez-vous est pris avec Odile et mon avocat, juste avant l’audience qui doit statuer sur leur garde. Après une nuit d’anxiété, je retrouve Maître Delarue à 15 heures, au café de la place du tribunal à Boulogne-sur-Mer, un établissement où j’avais moi aussi mes habitudes, du temps de ma splendeur… Heureusement, mon père et ma sœur Dany m’accompagnent.
Au sortir du café, je sens mes jambes se dérober. Je les aperçois enfin, sur le trottoir, les trois héros de ma vie. Mon sang se glace, j’ai l’estomac noué. Ému, je ne suis capable que d’un bisou furtif. Je
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