Chronique de mon erreur judiciaire
soudée. Nous nous connaissons tous, nous comparaissons libres, bien que maintenus sous contrôle judiciaire.
Je conserve un souvenir émouvant de ces moments forts, de ces heures précieuses de fraternité, au cours desquelles nous pouvions enfin confronter nos expériences respectives. Chacun d’entre nous pouvait dès lors relativiser sa propre douleur. Ainsi ai-je pris conscience que mon refus de m’alimenter m’avait épargné plusieurs mois de prison, comparé à d’autres, comme Thierry Dausque, resté trois ans sous les verrous.
Je suis ému de les retrouver sur le banc des accusés, ce 7 novembre 2005.
*
Le procès tant attendu s’ouvre dans un climat de frénésie médiatique. Cette fois, la presse bruisse en notre faveur. Voilà plusieurs semaines que nous croulons sous les demandes d’interviews et de reportages. Le jour J, mes comparses et moi pénétrons enfin dans cette arène de la cour d’assises, tels des gladiateurs poursuivis par un ballet de caméras, de projecteurs, de micros qui se tendent.
Mais dans notre for intérieur, nous n’en menons pas large. La gorge serrée, je m’empresse de franchir les deux détecteurs de métaux pour prendre place sur une des six chaises disposées deux par deux, alignées en colonne les unes derrière les autres, comme à l’école. Je me retrouve au premier rang, sans voisin, car j’apprends que Thierry Dausque est hospitalisé. Je prends le temps de contempler cette salle au parquet rutilant, coiffée d’un haut plafond ciselé d’une fresque magnifique. Moins majestueux, les dossiers en bois réveillent mon mal de dos et ne sont pas sans me rappeler le supplice physique et mental de ma garde à vue.
À peine ai-je pris place que toutes mes réflexions optimistes s’envolent. Ne suis-je pas le plus mal parti d’entre tous ? Le seul mis en cause par les accusations de son propre fils ? Piégé par les questions « fermées » des psychologues, pollué par les confidences dégradantes d’un des fils Delay, qui était scolarisé dans la même école que lui, Sébastien a lâché des paroles malheureuses, des paroles innocentes dans sa bouche, transformées en bombes accusatrices contre moi.
Quel parent peut prétendre n’avoir jamais effleuré de la main, sans le faire exprès, le sexe de son enfant, au cours de jeux innocents, ou en l’aidant à se sécher après son bain ? Cette horrible accusation a fait de moi pour certains un pédophile, et l’a plongé, lui, mon petit garçon, dans une détresse qui lui a valu de tenter de mettre fin à ses jours à l’âge de treize ans.
*
Le temps d’identifier certains avocats déjà présents à Saint-Omer, la sonnette retentit déjà. « La cour ! » Sept personnes font alors grincer le parquet : la présidente, deux assesseurs, le ministère public composé de deux avocats généraux, deux greffiers et un huissier audiencier. À l’arrière-plan, une escadrille de gendarmes courtois, mais stricts.
Nom, prénom, adresse, profession : chacun d’entre nous se présente. L’avocat de Thierry Dausque apporte un certificat médical justifiant son absence, et le conseil de Franck Lavier en profite pour prendre la parole et réclamer un allégement du contrôle judiciaire de son client, qui l’empêche de voir son épouse… enceinte, « ce qui prouve bien, assène-t-il non sans quelques chuchotements rigolards, que le contrôle judiciaire n’a pas été scrupuleusement suivi ! »
Commence alors une longue marche à pas menus, une marche tellement lente et sinueuse, que je me demande, au tout début de ce procès, s’il s’agit bien du nôtre. Des heures à entendre aussi patiemment que possible la voix d’une vieille bique de greffière égrener les mille cinq cent cinquante et une questions à l’ordre du jour. La litanie n’en finit plus, ponctuée de suspensions d’audience qui sont autant de bouffées d’air.
À la question 1112, enfin, c’est mon tour. Je sursaute à mon nom. Ce que j’entends est ahurissant : agression sexuelle sur mon fils légitime, mineur, ces faits reprochés étant censés s’être déroulés à Outreau et Samer. Samer est l’adresse de mon Étude, et mon fils ne s’est jamais rendu à Outreau ! C’est quoi, cette nouvelle farce ? Quand on arrive à 1515, j’ai envie de crier « Marignan ! » Mais je ne dois pas être le seul, et je préfère me taire.
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Mais une fois entrés dans le vif du sujet, je constate que nous
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