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Chronique de mon erreur judiciaire

Chronique de mon erreur judiciaire

Titel: Chronique de mon erreur judiciaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Marécaux
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eue de l’avoir à mes côtés ! Pendant toute cette période d’Outreau, il a tenu la main de mes sœurs, et celle de ma femme, avant qu’elle ne me quitte. Rien à voir avec ces « connaissances » qui ont détalé dès la première rumeur de ma pseudo-culpabilité !
    Hervé est huissier de justice, lui aussi. Nous avons fait tous deux l’ENP (École Nationale de Procédure) à Arras et à Lille. Avant Outreau, il exerçait à Calais, et moi dans les environs de Boulogne-sur-Mer. Un jour que nous discutons, il me dit tout à trac : « Pourquoi tu ne viendrais pas travailler avec moi à l’Étude ?
    — Mais, Hervé, tu vois dans quel état je suis…»
    Avec le recul, je mesure non seulement l’étendue de sa gentillesse, mais plus encore celle de son courage. Vous rendez-vous compte ? Engager un ancien huissier de justice, condamné pour atteintes sexuelles sur son propre fils ? À Calais, une ville de province où le monde judiciaire tient dans un mouchoir de poche ?
    Je refuse, je me dérobe en le remerciant pour son geste, mais il insiste. Et je finis par dire « oui ». Oui, j’accepte d’être embauché comme clerc débutant payé au Smic. C’est la seule voie qui s’offre à moi pour reprendre le chemin du travail, alors que j’ai démissionné de mes fonctions d’huissier. Oui, je vais avoir le courage d’affronter cette vie d’homme bafoué, dégradé. J’en ai des tourbillons dans le ventre. Mais c’est sans doute là un tournant décisif, une étape qui me pousse hors de ma cage de malade mental.
    Mais rien n’est joué : je ne pèse alors que soixante-dix kilos, je pleure à tout bout de champ, et j’ai encore envie de mourir un jour sur deux. Un matin, pourtant, tout remonte à la surface : la souffrance de ces trois années de cauchemar, la colère, la rage. Je me dresse alors sur mon lit, me traîne jusqu’à la salle d’eau pour contempler dans la glace un Marécaux chétif au teint beige, l’homme que je suis devenu. J’ai envie de crier : « Non, je ne suis pas fou ! J’ai rien fait ! Burgaud va disparaître ! » Je ne sais combien de fois j’ai pu écrire cette phrase dans mes cahiers. Elle déboule à la pointe de mon stylo comme une urgence, me tient lieu d’exutoire. Elle me détourne de ma propre mort : BURGAUD VA DISPARAÎTRE.
    *
    Avec le soutien de ma famille, je vais donc tenter d’accomplir ce grand saut : m’extraire de cette résidence, moyennant un traitement et un suivi médical très stricts, et tenter de renouer avec la vraie vie. Le plus dur, c’est de trouver un petit logement alors que je suis condamné, ruiné, malade. Mais Hervé bataille pour moi, et en septembre 2005, j’emménage dans un studio d’une trentaine de mètres carrés. Mon père me dépanne d’un canapé, d’une table et de quelques chaises. À sa sortie de prison, Odile a gardé pour elle le mobilier de notre ancienne maison, y compris la vaisselle, le linge de maison…
    J’ai ce sentiment presque burlesque d’enclencher la marche avant d’une voiture et… de partir à reculons ! D’un côté, ce nouveau départ est une renaissance ; de l’autre, je me retrouve vingt ans en arrière, quand je n’étais qu’un jeune étudiant fauché. Mais hélas, je cours sur mes quarante ans, et ma carrière brillante appartient au passé. Un passé brisé, saccagé, entaché d’une condamnation répugnante.
    Pourtant, à certains instants, les clignotants s’allument au vert. Comme ce jour où un éditeur – celui qui me publie aujourd’hui – vient à ma rencontre : lui aussi me dit banco pour un nouveau départ, faisant fi de ma condamnation à Saint-Omer, sûr de mon innocence.
    Moi qui n’en mène pas large à l’idée de retravailler, je me surprends à secouer mon fils Thomas, à lui parler d’avenir. Je me souviens de ce jour où nous avons discuté de tout, de son futur, des possibilités pour lui qui refuse de reprendre des études, de s’orienter vers un apprentissage. C’est à cette époque-là que la fameuse juge pour enfants lui a permis de venir habiter avec moi dans mon petit studio, alors qu’il n’avait plus de chez lui depuis trois ans…
    *
    1 er  octobre 2004. Premier jour de travail au sein de l’Étude d’huissiers que dirige Hervé. Nous sommes à Calais à une trentaine de kilomètres de Boulogne-sur-Mer. En dépit de l’accueil sympathique de mes collègues, mes débuts s’avèrent plus que difficiles. Je n’ai

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