Chronique de mon erreur judiciaire
La télévision marche tellement fort qu’on s’entend à peine parler. À vrai dire, je ne suis pas franchement le bienvenu. Le local est bondé et on me prévient d’emblée qu’il n’y a pas de place pour moi. Le surveillant choisit sur une liste celui qui va débarrasser les lieux. Mais comme le malheureux est au parloir, on défait son lit puis on range ses affaires sans lui. Le surveillant part et me laisse dans la cage aux fauves.
Empli d’effroi, je ne sais ni que faire ni quoi dire. Finalement, un des détenus se présente, bientôt imité par tous les autres. Eludant toute question, ils me résument le fonctionnement de la prison et m’apprennent à la fois comment remplir un bon de cantine et faire mon lit suivant la consigne. En tant que nouvel arrivant, j’ai droit à une douche, toilette suivie du repas, réellement infect. Deux œufs durs nagent en effet entre des choux-fleurs trempant dans une eau blanchâtre tandis que le dessert se résume à un misérable yaourt.
À 18 heures, je me couche en songeant à ma femme et à mes enfants. Quand le journal télévisé annonce les titres du jour, un frisson me saisit : il est question de « l’affaire d’Outreau ». « Un huissier et son épouse y sont incarcérés », explique le reportage. Le présumé coupable, c’est moi ! Mais je n’ai pas le temps de m’angoisser plus encore. Mes yeux se ferment irrésistiblement. Après deux nuits blanches, le sommeil tombe comme un verdict.
*
Je me réveille le lendemain vers 7 heures, prends mon petit déjeuner et passe le plus clair de ma journée le nez collé à la fenêtre, ignorant les autres qui regardent la télévision. À midi arrive le déjeuner, toujours aussi mauvais. À travers la vitre j’observe les pigeons, très nombreux et appréciés puisqu’ils servent d’éboueurs aux détenus qui leur jettent leurs détritus.
À 17 heures, maître Delarue demande à me voir. Je m’entretiens avec lui de ma femme et de mes enfants et le découvre plutôt confiant, assurant de nouveau que, le dossier étant vide, cette incroyable erreur sera vite réparée. De toute façon, m’explique-t-il, il a déjà fait appel de la décision de mise en détention provisoire. Il me délivre en outre de précieux conseils, dont celui de cacher à la fois ma profession et les motifs de mon arrestation, sachant pertinemment que les violeurs reçoivent de la part des prisonniers un traitement pour le moins spécial. « Les pointeurs », comme ils les surnomment, se voient en effet régulièrement molestés, injuriés et frappés. Pour me protéger de ce genre de sévices, j’invente donc une histoire à dormir debout : pour eux, je serai désormais un escroc ayant officié dans l’immobilier.
De retour dans ma cage, je réalise un peu plus l’enfer du décor et l’exiguïté de l’endroit. La cellule est composée de trois lits superposés, de deux tables, de quelques chaises, d’armoires et d’étagères. Les toilettes sont fermées et l’on se débarbouille dans un évier sans eau chaude. La télévision reste la seule ouverture sur l’extérieur puisque les trois fenêtres ont des barreaux pour unique horizon.
Quant à la pire atteinte à la liberté, c’est évidemment l’œillet de la porte d’entrée, judas qui nous observe et nous réveille, nous scrute et nous épie. La porte, elle, est fermée la journée d’un simple tour tandis que le soir, après le repas, et le matin à 7 heures, les verrous sont actionnés. Rien qu’à y songer, ce bruit sourd me fait pâlir aujourd’hui encore, claquement sec qui restera à jamais l’une de mes phobies. Je me réveille à plusieurs reprises pendant la nuit. Et, chaque fois, s’offre à moi la vision de mes codétenus. Certains arrivent à fermer l’œil, mais c’est essentiellement grâce aux somnifères. Quant au surveillant de nuit, à plusieurs reprises il vérifie notre présence à travers les trous grillagés en allumant grand les lumières, ce qui réveille ceux qui comptaient sur l’obscurité pour dormir et qui maudissent alors ce flash maudit.
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Au fil des jours, ma vie s’organise à l’intérieur de la cellule et je commence à remplir mes tâches, notamment, dès le matin à 7 heures, la sortie des poubelles et des boîtes de médicaments. Le premier dimanche, je vais à la messe où je peux prier à volonté et fais la connaissance d’un prêtre et de deux aumôniers. Je persiste à manger peu car la
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