Chronique de mon erreur judiciaire
de nous dans une petite salle au niveau du rond-point équipée d’une prise de courant.
On y trouve une simple chaise, un lavabo et un miroir placé en hauteur pour une coupe qui ne se fait pas aux ciseaux mais à la tondeuse. Personnellement, ayant toujours porté la barbe, je souhaite simplement la raccourcir. Pour les cheveux, je demande une coupe très courte parce que j’en perds énormément, ma calvitie galopante étant renforcée par les effets du stress carcéral et l’horreur de me retrouver là.
Une horreur accentuée par ma découverte de cet univers. Comment supporter, en effet, les discussions en cellule désespérément identiques et outrancières – « l’État est un voleur », « les surveillants sont des cons » –, les chamailleries perpétuelles qui se transforment régulièrement en échanges de coups de gueule, l’esprit limité de certains ? Ainsi, quand ils évoquent les peines encourues, mes codétenus envisagent de passer vingt ans en détention et en rient. D’autres errent dans les couloirs, en attente de parloir ou d’infirmerie. Beaucoup parlent des autres maisons d’arrêt, notamment celles d’Amiens, de Fresnes et de Rouen, comme s’il s’agissait de représentants d’un guide touristique. Autant de remarques qui m’apprennent que je côtoie nombre de récidivistes. Quel novice je suis. Et dire que j’ai étudié pendant un an la criminologie et plus précisément la science pénitentiaire !
Je ne tarde pas non plus à m’apercevoir que les bagarres sont plus nombreuses que je croyais, horrifié plus particulièrement par l’histoire de cinq détenus ayant « tabassé » l’un des leurs pendant toute une nuit sans qu’aucun surveillant en soit averti, victime qui refuse d’ébruiter l’affaire ou de se plaindre de peur de représailles. Ici règne la loi du silence. À l’infirmerie, il préfère déclarer être tombé dans l’escalier ! Cela pourrait-il m’arriver ? J’en tremble. Parfois aussi, un détenu passe au mitard, une sorte de microcellule individuelle, sans télévision, aux sinistres grilles, punition souvent servie en cas d’injures à un surveillant. Par bouffées, à maintes reprises, je m’effraie de mon sort : mais qu’ai-je fait, mon Dieu, pour mériter cela ?
*
Chaque jour, mon moral s’étiole. Parce que je suis toujours sans nouvelles écrites des miens, bien qu’ayant reçu du linge propre déposé par leurs soins, et aussi parce que je trouve que mon dossier n’avance pas.
À l’issue de cette première quinzaine, je revois maître Delarue. L’orage ne s’éloigne pas : l’appel de ma mise en détention provisoire a été rejeté. Pourtant, il se veut rassurant, arguant que la presse s’étant emparée de cette affaire, elle va vite expliquer que rien ne tient. Dès lors, selon lui, je ne dois pas perdre espoir. Ses paroles apaisantes me rassurent, le ciel commence à s’éclaircir en mon for intérieur.
C’est donc un peu moins angoissé que je me rends à l’infirmerie pour répondre à un questionnaire sur mes habitudes sexuelles. On en profite pour me proposer un test de dépistage du sida, offre que je rejette. L’infirmière exigeant une décharge pour refus d’analyse de sang, de guerre lasse je cède et me laisse docilement « piquer » pour une recherche complète incluant également les tests de l’hépatite et de la syphilis.
Quand je regagne ma cellule, mes codétenus sont partis à l’atelier, ou en formation. Dès lors, la journée traîne en longueur. Des petits riens servent à tromper mon ennui. Qu’il s’agisse de lecture, de télévision, ou de cigarettes, ces plaisirs mineurs me soutiennent. En conclusion du jour, je regarde par la fenêtre, m’allonge sur mon lit et ressasse mon passé, cette incroyable histoire, la mienne. La même question hante mes pensées depuis mon incarcération : cela finira-t-il ?
*
Un huissier en détention, c’est assez rare. Un huissier accuse de pédophilie et innocent encore plus. Et un huissier – moi – obligé de dormir dans une cellule de « violeurs » ou d’« abuseurs sexuels », je n’aurais jamais cru cela possible. En fait, il est de coutume, dans la maison d’arrêt de Beauvais, de regrouper les violeurs ou supposés tels dans deux locaux qui se jouxtent pour les protéger des autres. En effet, en passant près de nous, les prisonniers nous injurient, comme on m’en avait averti, en nous traitant de
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