Chronique de mon erreur judiciaire
Dans mon cas, je recours à la première solution pour ne pas fréquenter l’atelier où mes codétenus plient des feuilles destinées à devenir les tirelires de l’opération « pièces jaunes ». Le travail permet aussi, je l’apprendrai par la suite, de se procurer de la drogue.
Dans la cellule, la promiscuité rend l’ambiance pesante. Quand le pain arrive vers 7 h 30 du matin, nous nous levons et n’échangeons pas un mot même si certains, quelquefois, se risquent à un : « Bien dormi ? » Et ce n’est pas le « café », liquide jaunâtre élaboré à base de Ricoré, qui nous rend de meilleure humeur, le vrai café étant interdit en prison. Néanmoins, j’en bois le matin et plusieurs fois dans la journée parce que ça passe le temps et me permet d’ingurgiter un breuvage chaud. Pour faire un « café », nous faisons bouillir l’eau sur la plaque chauffante à l’aide d’une vieille casserole cabossée, sans manche, dont le bec verseur a été façonné à la main. Le récipient, qui se trouve dans un état lamentable, souillé par un calcaire collé aux parois, nous sert également à chauffer l’eau de lavage du sol, ou l’eau pour se faire la barbe.
En bruit de fond permanent, il y a la télévision, qui fonctionne depuis 8 heures du matin jusqu’au lendemain 4 heures du matin avec simplement une pause au moment de l’atelier, où défile une succession de feuilletons que j’ai toujours détestés. Le soir, c’est évidemment le film qui est choisi, jamais une émission littéraire, historique, économique ou politique, et encore moins un documentaire. À part les chaînes nationales, il y a Canal Plus, une chaîne musicale que mon codétenu Maurice apprécie lorsque nous sommes seuls, ainsi qu’Eurosport et une chaîne Cinéma.
Évidemment, se mettre d’accord sur le programme suscite des débats parfois houleux et quelques coups de gueule. Vivre dans un tel climat, les uns sur les autres, rend chacun irascible. Et oublieux des règles d’hygiène.
Ainsi, au coucher, personne ne se lave ni ne se met en pyjama. Alors je fais comme tout le monde et, sans aucune toilette, je me couche en slip. Avec tee-shirt et chaussettes en plus parce que les nuits sont très froides, les fenêtres restant ouvertes la nuit pour aérer cet espace confiné. Un espace où la promiscuité atteint des sommets de nuisance à cause des flatulences d’un codétenu surnommé Hitler et d’un nuage de crasse et de fumée qui flotte dans la pièce en permanence.
Beaucoup des prisonniers tenant grâce aux somnifères, les rythmes de vie sont désaccordés. Dans la cellule, chacun dort, se réveille, fume, pense, vocifère, plonge à nouveau dans le sommeil, avant de refaire surface, et finalement de rester au lit pour tromper l’ennui jusqu’à l’appel sonore de la télévision ou celui, plus bruyant encore, des jeux de cartes, comme le poker où certains parient leurs cigarettes. Moi, pour tenter de tromper l’ennui autant que l’angoisse, j’ai trouvé, au hasard de mes lectures, un livre dans lequel des détenus demandaient pardon aux victimes. En songeant à mon propre cas, je souffre plus encore : étant à la fois détenu et victime, à qui dois-je pardonner ?
*
Deuxième lundi en prison. Une épreuve plus longue que je ne le pensais. Alors qu’en arrivant, je me voyais remis en liberté sans délai et reprendre mes occupations d’huissier avant de rejoindre le soir mon foyer entouré de l’amour des miens, je continue à moisir en détention. La litanie de mes rancœurs et récriminations me vrille l’esprit. Comment s’extraire de ce piège ? Comment faire rendre raison à ceux qui m’accablent ?
Vers 8 heures, un surveillant vient chercher ceux qui désirent aller à l’atelier. Cinq codétenus se lèvent, s’habillent en vitesse et s’en vont. Jugeant ce travail trop dangereux vu les circonstances, je préfère rester au lit et, vers 9 heures, me forcer à boire un café. Le ventre vide, je me rendors en pensant aux miens avant d’être extrait de ma torpeur par un surveillant me notifiant l’ordonnance désignant un suppléant à l’Étude : il s’agit d’une Société civile professionnelle du ressort du tribunal d’instance de Montreuil-sur-Mer qui, évidemment, n’a rien à voir avec les suppléants que j’avais conseillés. Je ne comprends pas ce changement alors que j’avais désigné mon meilleur ami Hervé, huissier de justice à Calais,
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