Chronique de mon erreur judiciaire
incarcérée. Dès lors on m’affuble du surnom de « prof » qui, si j’en tire un semblant de respect, ne me procure aucune gloire. En ces lieux, on apprend vite à être prudent et, surtout, à le rester.
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Pendant ces premiers temps de détention, les charges retenues contre mes compagnons d’infortune m’incitent à la méditation sur la prison. Telle que je la vis ici, je constate une négation de l’être humain dans toute son horreur. Mais que faire des violeurs ou des assassins, sinon les regrouper ? Certes la question se pose mais il m’apparaît évident que, dans ces conditions, ils nourrissent contre la société des sentiments de haine et de vengeance irréversibles. Parler d’insertion future relève du joli conte que les récidivistes, majoritaires, mettent en pièces sans vergogne. Pire, la prison elle-même fonctionne en grande partie sous le signe de l’inégalité et de la débrouille. Ici, pour survivre, on apprend qu’un rien se paye, que tout est disponible à condition de le monnayer.
Or, la monnaie courante – en plus de quelques billets – n’est autre que la cigarette, livrée à l’unité ou en paquets. Pour une clope ou une cartouche, on marchande tout, cannabis ou autres drogues, nettoyage des vêtements… Le « taux de change » de la cigarette est même tellement élevé que la majorité fume des roulées. Moi-même, je me remets peu à peu à cloper sans me poser de questions. Et pas seulement du tabac. La drogue étant en vente quasi libre, je n’ai guère de mal à m’adonner aux plaisirs artificiels du cannabis et de la marijuana. Un trafic généralisé qui concerne aussi les médicaments, et, plus particulièrement, les neuroleptiques et les antidépresseurs. Au lieu de servir d’endroit permettant une prise de conscience de soi, la prison nous pousse au-delà de nos limites. Un comble !
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Plus mon incarcération dure, plus je sombre psychologiquement. Je sais que je dois tenir mais comme les activités me manquent, je tourne en rond, ressassant les jours heureux du temps jadis, les instants bénis où j’étais libre.
Je revois en rêve ma femme chérie, mes trois beaux enfants et ces belles heures de métier exercées avec passion. Songer à ces moments doux me brise tellement qu’il m’est même difficile de regarder certains programmes télévisés évoquant les familles réunies. Quand je découvre à l’écran les publicités présentant un bonheur familial sans ombre ni souci, la gorge me serre et je suis exaspéré. À l’approche de Noël, je songe par exemple aux cadeaux achetés par Odile en prévision de cet événement qui aurait dû se dérouler chez mes parents, et où chacun aurait déposé dans la joie de nombreux présents sous le sapin.
Oui, j’arrive à en vouloir à la terre entière, et plus particulièrement encore à ce système judiciaire français qui laisse des dossiers se perdre et nous noyer, aux confins de l’inexpérience. Nul doute, dans mon esprit, que si ma famille n’avait pas, plus que jamais, besoin de moi, j’en finirais d’emblée avec la vie. Plus le temps passe, plus j’ai en effet l’impression d’être à la dérive de moi-même. Renouer avec ma vie passée et entendre les excuses de la Justice pour cet énorme gâchis se transforme à mes yeux en un horizon indépassable, toujours plus lointain.
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Un horizon qui glisse de ma vue comme les jours glissent dans mon esprit. Un jour, puis un autre et encore un autre, ma détention s’éternise et mes espoirs s’amenuisent.
Le quotidien se voit parfois rythmé par la visite d’un surveillant qui vient nous compter, nous prévenir d’un parloir, distribuer le courrier ou encore chercher les volontaires pour l’atelier ou pour se rendre en formation, mais moi je m’enfonce. La nourriture m’est de plus en plus insupportable et je n’ai trouvé qu’un seul plat correct : les frites ! Une quantité incroyable de « nourriture » est mise à la poubelle, jetée dans les toilettes ou distribuée par la fenêtre aux très nombreux pigeons. Seuls les yaourts, le fromage, les fruits et légumes crus m’inspirent en fait un semblant de confiance. Chose curieuse néanmoins, aucun détenu ne maigrit, alors que tous sont globalement sous-alimentés. La raison ? Le fameux cinquième repas, ce complément du soir réalisé à base de produits cantinés, achetés à la prison, constitué de pâtes, de corn flakes, de chocolat, de bonbons, de
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