Chronique de mon erreur judiciaire
« pointeurs ». Si bien que les douches ne se font qu’entre détenus de notre cellule, sans aucun mélange avec les autres. Même les promenades collectives nous sont interdites, sous peine de bagarres assurées. Travailler à l’atelier relève souvent de l’opération suicide. Et moi, je me retrouve au milieu de ces malades alors que je suis innocent : quelle embardée du destin !
Je partage ma cellule avec une brochette de personnages pour le moins particuliers. D’abord il y a Patrick, un Réunionnais qui râle sur tout, la société, la justice, la prison. Ce dépressif, accusé de viol, demeure en attente de jugement. Incarcéré depuis dix mois, recevant du courrier au compte-gouttes, privé de parloir, toujours à la limite de la crise de nerf, il « pète souvent les plombs » et a, depuis son incarcération, fait un séjour en psychiatrie durant une bonne quinzaine de jours. De religion hindoue, il va pourtant quelquefois à la messe, mais ne mange jamais de bœuf. À la place, on lui propose une autre viande, du poisson ou encore des œufs, qui finissent directement à la poubelle puisque pour l’essentiel il se nourrit de pain et d’harissa.
Mario, lui, peu bavard, attend d’être jugé pour viol et adore Johnny Hallyday, Bob Marley… Archétype du prisonnier, il se fait lui-même ses tatouages à partir de dessins obtenus depuis un calque qu’il s’imprime sur la peau en savonnant énergiquement le tout. Une fois cette étape franchie, il se pique à l’encre de stylo.
Cyril, de son côté, fait montre d’une certaine culture, ayant une formation d’informaticien. Homme utile, il m’apprend à jouer à la belote, au huit américain, et me sert de partenaire attitré aux échecs. Incarcéré pour viol, il a deux enfants de six mois et neuf ans, issus de deux femmes différentes dont l’une est décédée.
Moktar, lui, est muet comme une carpe. N’ennuyant jamais personne, se moquant des programmes télé, ce musulman fait quotidiennement ses cinq prières sans jamais lever un coin de voile sur sa vie. Ni sur les raisons de sa présence dans cette unité.
Il y a aussi un deuxième Cyril, dit « Atchoum », le plus jeune du groupe avec ses dix-neuf ans. Querelleur et violent, ne tenant pas en place, il est toujours prompt à ennuyer son monde, et plus particulièrement son bouc émissaire Jean-Marie, qu’il surnomme « la putain ». Accusé de viol et en attente de jugement, ce surexcité permanent sait à l’occasion se montrer drôle et serviable. C’est d’ailleurs lui qui, le plus souvent, prépare le cinquième repas, trop heureux de mettre en avant sa formation de cuisinier. C’est aussi avec lui que je fumerai mon premier joint.
Noël, dit « papy », le plus âgé, a été condamné pour « agressions sexuelles par ascendant ». Il mange beaucoup et pratique la gueulante, en bon Italien, comme une activité de loisir. Son accent est tellement prononcé que, lorsqu’il parle, je dois comprendre à peu près un mot sur deux.
Il y a aussi Laurent, incarcéré pour un motif n’ayant rien à voir avec nos chefs d’accusation puisqu’il a tiré sur son frère, qui sera prochainement amputé d’une jambe. Maugréant fréquemment depuis que Jean-Marie et Atchoum l’ont pris en grippe, il parle souvent de « cul » et de se faire « sucer ». À mon sens, avant de se retrouver en prison il ne devait pas boire que de l’eau !
Le fameux Jean-Marie, alter ego d’Atchoum, est en attente de jugement pour viol, même si, selon son langage imagé, il n’a jamais « sorti sa queue » et se vante d’avoir une vie de famille exemplaire avec femme et enfants.
Et puis, pour finir, je ne dois pas oublier Maurice, le dernier arrivé, celui qui couche par terre. Un homme énigmatique, capable de rester assis comme un bonze des heures entières sans rien dire, à fumer et à boire du café. Venu de la maison d’arrêt d’Amiens et en transfert à Beauvais pour l’appel de la décision de la cour d’assises l’ayant condamné pour viol, il attend la sentence finale. Qui tombe le 5 décembre avec un verdict de dix-huit ans, et une peine de sûreté de douze ans. Ce qui n’est pas une surprise pour ce récidiviste déjà incarcéré durant sept ans.
Enfin, bien sûr, il y a un escroc commercial lillois : moi. Pour avoir la paix, j’ai donc expliqué que j’étais professeur de droit et que, dans le cadre de mon affaire, mon épouse avait également été
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