Chronique de mon erreur judiciaire
prisons plus terrifiantes les unes que les autres ? Après la colère, la volonté de résister, l’abattement réapparaît, plus sournois, pernicieux et destructeur que jamais. Conséquence, je m’alimente de moins en moins, maigris à vue d’œil et me résous a une seule chose : attendre l’audience du 4 juin 2003 où là, à défaut d’être libéré, je tenterai à nouveau d’en finir avec la vie.
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Comme de bien entendu, le 4 juin, il ne se passe rien. La journée ressemble aux autres, avec une promenade en cour, durant laquelle je trafique un peu plus de médicaments, notamment des somnifères, pour tenter mon grand dessein : mettre un terme à ce calvaire.
Durant le week-end, je me conditionne une nouvelle fois pour ce suicide qui occupe toutes mes pensées, en songeant notamment aux quantités de médicaments à ingurgiter. Ne voulant pas cette fois me manquer, je sais que les doses doivent être très importantes pour mourir. L’ennui, c’est que je n’ai plus les moyens de me réapprovisionner, la fouille préfectorale du 27 février dernier ayant laminé les « stocks » de la prison, lesquels n’ont pas eu le temps de se reconstruire. Je pense bien me rapprocher des bandes constituées afin d’obtenir une quantité de stupéfiant mortelle, histoire de disparaître dans une overdose colossale, mais il me faudrait de l’argent. Or, ne me voyant pas quoi expliquer à ma famille, j’imagine mal lui demander de m’en apporter. Bref, je dois passer différents obstacles, mais ma détermination renaît.
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Mercredi 25 juin 2003, j’ai vu mon fils Thomas, placé hors de la famille. Ma joie est intense, mais ces retrouvailles ne changent rien à ma décision. Ne suis-je pas toujours détenu arbitrairement ? N’ai-je pas déjà payé par trop d’humiliations, de jours de prison, d’accablement, la mise en application de la présomption de culpabilité alors que je suis innocent ? Les dégâts de cette enquête mal ficelée ne sont-ils pas irréversibles, avec tant d’existences laminées ? Mes enfants sont déstabilisés et écartelés, mon épouse, depuis sa libération et son retour chez ses parents, se mure dans un silence qui ne me dit rien qui vaille, mon avenir professionnel relève de l’utopie, bref plus rien ne me retient à la vie. Dois-je arriver à l’ultime baroud d’honneur du suicide pour qu’on daigne me croire ?
En tout cas, fort de ce choix, j’ai rédigé un testament, transmis en cachette à mon avocat, dans lequel je protège ma femme et mes enfants.
Mes enfants ? Voilà plus d’un an et demi que je n’ai vu ni Sébastien ni Cécile. De famille d’accueil en belle-famille, d’interdiction de parloir en insanités proférées contre moi par quelques bonnes âmes proches, trop heureuses de casser du sucre sur un absent ne pouvant se défendre, de vilipender un bourreau de travail qui n’aurait pas procuré aux siens l’existence qu’ils méritaient, de susurrer la nécessité de reconstruire autre chose pour oublier la procédure judiciaire et tirer un trait sur le passé, ils sont en proie à l’indifférence. Voulue ou téléguidée ? Je l’ignore mais leur « disparition » me martèle le cœur. Dès lors, la mort m’apparaît comme une délivrance, un grand bond vers la liberté.
Hélas pour moi, mon état physique et mental inquiète rapidement le personnel soignant qui se met aussitôt en alerte. Le vendredi 27 juin, je suis convoqué par le médecin psychiatre. Me soupçonnant de vouloir mettre fin à mes jours, il m’avoue être à deux doigts de me faire hospitaliser dans un service psychiatrique. Sachant ce qui m’y attend, ne désirant pas être mis à l’écart dans une chambre d’isolement comme je l’ai déjà enduré, je me bats comme un beau diable. Après une discussion d’une heure et demie, où je lutte pied à pied pour éviter ce transfert, je le convaincs et peux regagner ma cellule. Nous avons toutefois pris rendez-vous pour le 2 juillet. D’ici là, j’aurai pu voir Dany, signé mes courriers et assisté à l’audience du 1 er juillet, à mes yeux celle de la dernière chance : en cas de rejet, cette fois, je ne me louperai pas.
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Comment réussir là où, auparavant, j’ai échoué ? Longtemps je me suis posé la question. J’ai envisagé ainsi de casser un rasoir pour en récupérer la lame et m’ouvrir les veines pendant l’absence de mon codétenu. Une solution radicale sans doute, mais
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