Chronique de mon erreur judiciaire
ayant l’inconvénient de prendre du temps, donc de laisser à la peur l’occasion de me faire changer d’avis et aux gardiens l’opportunité de se rendre compte de mon geste.
Autre option, la pendaison avec mes draps, le tout installé au niveau de la potence supportant la télévision, le tabouret étant disposé en dessous. Mais, en voyant cet échafaudage, j’ai peur. Je reste pendant plus d’une heure à regarder mon gibet sans avoir le courage de passer à l’acte. Finalement, je démonte le tout.
Que me reste-t-il comme solution ? Je cogite encore jusqu’à ce que, le jour même du nouveau refus de ma mise en liberté, une réponse inattendue naisse en moi : cesser de m’alimenter. Entamer une nouvelle grève de la faim et la conduire à terme. Cette fois, je me jure d’y arriver.
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Le lendemain, j’informe le psychiatre de ma décision. Inquiet, il propose une nouvelle fois de m’interner, mais je refuse catégoriquement. Ayant perdu vingt-deux kilos depuis mon retour de l’hôpital de Clermont-sur-l’Oise, pourquoi leur donnerais-je l’occasion de me « requinquer » pour mieux m’humilier ensuite ? Ma conviction est faite et je n’en démordrai pas.
Afin d’ameuter l’opinion et de dénoncer l’erreur judiciaire que j’estime subir, j’avertis par courrier le président de la République, le Premier ministre, le garde des Sceaux, le président du Sénat, celui de l’Assemblée nationale, celui de la cour de cassation, mais aussi mon député, mon sénateur et l’Administration pénitentiaire. Les seules réponses arrivent du palais du Luxembourg et du président de la cour de cassation. Je sais aussi que le préfet de Boulogne-sur-Mer a transmis mon courrier au procureur de la République et que la pénitentiaire a bien reçu ma lettre.
La preuve, je suis convoqué par la directrice de la maison d’arrêt. Un entretien de moins de trente secondes, durant lequel elle m’explique ne rien avoir à faire de ma démarche, et que « ça fait juste un gréviste de la faim en plus ». Sans doute personne ne me croit-il capable d’aller jusqu’au bout. C’est ignorer que, lorsqu’on se sait innocent, la volonté de le crier à la face du monde vous fait sortir de vos limites et vous procure des forces insoupçonnées.
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Jeudi 10 juillet. Voilà dix jours que je bois mais ne mange plus. Lors d’un parloir avec papa et ma grande sœur Thérèse, qui m’avertissent qu’en pleines vacances judiciaires mon dossier va rester en stand-by, je leur confie ma décision. S’ils comprennent mes motivations, ils m’avouent espérer que je ne tiendrai pas le coup, une grève de la faim faisant énormément souffrir et pouvant laisser des séquelles. Mais je m’en fous car, désormais, à quoi ressemble ma vie ?
À partir de cette date, ma baisse de tension (11) et ma perte de poids (cinq kilos) entraînent des prises de sang régulières. Au bout de quinze jours, mon organisme s’est même adapté à ces privations, atténuant les sensations de faim tout en augmentant, par réaction, celle de soif. Dès lors, je bois une quantité considérable d’eau et de café. Le 18 juillet, date d’une nouvelle prise de sang, ma tension s’est stabilisée à 11 tandis que mon poids est descendu à soixante-six kilos. Comme mon traitement médical est parallèlement stoppé, je souffre de nouveau d’angoisses et suis victime d’insomnies totales.
Au bout de trois semaines, la sensation de faim a presque disparu chez moi. En revanche, je reste sensible aux odeurs de nourriture qui ravivent mon appétit. Un calvaire. Autre conséquence des carences de mon organisme, j’ai de terribles douleurs aux muscles des jambes et du ventre. Une conséquence logique, m’expliquent les médecins : mon organisme puise dans ses réserves. Selon eux, je vais bientôt rencontrer des difficultés pour marcher. Ce qui se vérifie très vite puisque, rapidement essoufflé, j’ai désormais du mal à monter et à descendre de mon lit. Malgré tous ces maux, malgré les douleurs qui me tenaillent, je tiens bon. Quand on est dans son droit, quand le seul moyen d’espérer se faire remarquer et écouter, consiste à mettre en péril sa vie, on l’accepte sans peine. Parce que plus que sa santé, c’est l’arbitraire que l’on pourfend et son honneur que l’on protège.
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Lundi 21 juillet. Le docteur Gonzales insiste pour que je me fasse interner à l’hôpital psychiatrique Pinel d’Amiens.
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