Chronique de mon erreur judiciaire
moindre centimètre carré. Inspectaient ou plutôt mettaient à sac. Qu’on en juge. Après un retour dans nos appartements par étapes – avec un passage aux douches où il s’agit de se mettre totalement nu, de montrer nos plantes de pied et d’ouvrir nos fesses –, nous avons retrouvé la cellule sens dessus dessous. Tout avait été renversé : nos affaires, nos cartons, nos armoires, la boîte servant de boîte aux lettres accrochée sur la porte. Posters et photos avaient été arrachés. Chaque lit s’était vu retourné, le matelas sorti de la housse. Nous avons dû refaire nos lits et tout remettre en place. Quel résultat a donné cette razzia digne d’une nuée de sauterelles ? Pas celui escompté en tout cas. Car si de la drogue, des téléphones portables, d’importants stocks de médicaments furent trouvés aucune arme n’apparut. Mais Jean-Pierre et moi avons tout rangé dans le calme et la dignité, puis nous nous sommes fait un petit café. La récompense de l’opprimé ?
*
Depuis le départ de Jean-Pierre, j’ai un nouveau codétenu : Henri, trente-deux ans, ancien toxicomane, père de deux enfants. Il me prévient d’emblée qu’il est atteint d’une hépatite C, se montre plutôt gentil, mais maniaque de la propreté. Dès le matin, il lave et fait le ménage avec une énergie déconcertante, désireux même de repeindre les murs. Au bout du compte, cette phobie de la saleté n’est pas pour me déplaire tant le contraire est fréquent en ces lieux.
Comme il est démuni d’argent, je l’ai pris en pitié et lui ai acheté du tabac, donné des enveloppes, des timbres, du papier à écrire et une paire de baskets, un slip, un polo, car il n’avait rien d’autre à se mettre que deux pantalons. Bref, je tombe sur un compagnon de cellule venu d’un foyer Emmaüs… encore plus paumé que moi. Ce qui va forcément rejaillir sur mon état d’esprit.
Tous les matins, il reçoit une injection de méthadone, médicament par ailleurs très cher au « marché noir » car substitut à sa drogue, mais continue à avaler des quantités de pilules phénoménales. Pire que moi. À titre d’exemple, le soir, il se shoote vers 18 heures avec du Xanax®, du Tersian®, du Lexomil®, de l’Imovane® et plusieurs Stilnox®, cocktail d’éléphant qui l’endort dans les cinq minutes. L’ennui c’est que l’effet ne dure pas et qu’il se réveille vers 2 heures du matin, allume la télévision ou la lumière, alors que moi je cherche à dormir.
Les raisons de son incarcération ? Un vol banal. En revanche, il est récidiviste et a déjà tâté de la prison à la maison d’arrêt de Laon. La rapine ou la kleptomanie doit être du reste une seconde nature chez lui, puisque, en fouillant mes affaires, je découvre un jour la disparition d’un paquet de cigarettes. Fort déçu par ce comportement, j’ai fini néanmoins par lui pardonner.
Depuis une cure de désintoxication de quatre mois dans un monastère, mon « colocataire » a aussi une marotte : devenir croyant et suivre le culte catholique, quête que j’encourage. Je lui apprends ainsi le Notre Père, que nous récitons tous les jours, et l’inscris pour la réflexion biblique et la messe. Il s’est même « fabriqué » un coin pour prier avec une petite table et une croix découpée dans un magazine.
Un peu de piété dans ce monde sans foi ni loi ne fait jamais de mal.
Chapitre 22
Tenir pour ne pas mourir
ou
Mourir pour ne plus tenir
Samedi 17 mai 2003. Mon mandat de dépôt vient à expiration ce soir à minuit. Depuis quinze jours, je vis dans l’espoir que les juges m’oublient et ne le renouvellent pas, erreur de procédure qui ferait de moi un homme libre. En prison, on se rattache à tout. Aux arguties réglementaires, aux arcanes du code pénal comme aux espérances les plus irraisonnées.
Une prière d’autant plus irréaliste qu’au parloir, papa et Dominique m’expliquent que cette éventualité ne peut arriver. D’après ce que maître Delarue leur a expliqué, le renouvellement de l’ordonnance de prolongation de détention est quasi-systématique. Évidemment, face à ce énième revers, je tombe de haut. Une descente qui me replonge dans la déprime. À quoi bon se battre, me dis-je. À quoi sert-il de lutter encore après tant de jours à batailler pour rien, à écouter que mon dossier est vide mais à constater que personne ne veut l’entendre, à me morfondre dans des
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