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Chronique de mon erreur judiciaire

Chronique de mon erreur judiciaire

Titel: Chronique de mon erreur judiciaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Marécaux
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clausus, et leur charge doit être achetée. Je devais donc en trouver une en train de se libérer puis payer le lourd droit de présentation du titulaire au garde des Sceaux. Après mûre réflexion, je conclus qu’il était urgent de se modérer : après tout, mon emploi de clerc suffisait à mes besoins et mon maître de stage, devenu ensuite mon employeur, se félicitait de mon travail. Quant au prix d’une charge d’huissier de justice, il était tellement énorme que mieux valait patienter plutôt que de s’endetter. Autres critères ayant tempéré notre ardeur, le fait que nos familles résidaient dans la région et qu’Odile attendait notre deuxième enfant, Sébastien.
    Malgré tous les conseils de prudence, je me mis néanmoins à prospecter alentour, jusque dans le Calvados. Un jour, une charge importante semblant se libérer à Boulogne-sur-Mer, nous nous sommes décidés, avec un ami stagiaire dans la même Étude, à étudier la possibilité de la reprendre. Mais, tandis que nous montions notre dossier, un concurrent nous devança. Ma désillusion fut intense, l’affaire étant intéressante. Certes, son prix se montrait astronomique, mais son chiffre d’affaires conséquent.
    Quelques jours après ce premier échec, le président de la chambre départementale des huissiers de justice m’avertit qu’une autre charge se libérait dans la région boulonnaise. Si son champ d’action paraissait plus modeste que la première, cette Étude était saine, implantée dans un bourg de trois mille habitants. Ni une, ni deux : banco ! J’en devins vite le suppléant, puis le titulaire en octobre 1992.
    *
    Il y avait de belles perspectives, à condition toutefois de retrousser ses manches. Ce que je fis ! Au fil des mois, l’affaire devint une Étude honorable, employant jusqu’à huit collaborateurs. Les clefs de ce succès ? Travailler énormément, respecter le magistrat dans la décision de justice rendue et, par là même, respecter le créancier, ainsi que le débiteur. Je prenais en effet le temps d’expliquer à la personne poursuivie ses droits, et m’efforçais de la prévenir qu’elle pouvait bénéficier de délais de paiement, que limiter au maximum les actes de procédure permettait d’envoyer rapidement les sommes disponibles au créancier mais aussi de réduire les frais supportés par le débiteur.
    Au fil des années, j’appris énormément. Professionnellement, certes, mais surtout sur la nature humaine. Ce métier, pour peu qu’on l’exerce correctement, constitue un observatoire social privilégié. À travers les situations de crise et la misère que l’on rencontre malheureusement trop souvent, il vous propulse en effet à l’avant-garde des angoisses du lendemain. Un affrontement avec la réalité qui augmenta mon sentiment de compassion devant ces hommes et ces femmes en proie aux situations d’urgence les plus aiguës.
    Assister son prochain – dans la mesure du possible – me commandait de travailler sans compter. Trop, diront certains, puisque bientôt des amis me mirent en garde. « Tu passes trop de temps à ton Étude, tu oublies ta famille. Tu ne penses pas assez à toi et aux tiens. Et tes enfants, tu t’en occupes un peu ? » Autant de remarques que je n’écoutais pas, pris par mon désir d’arriver, de faire mieux encore. Et pourtant, comme j’aurais dû les écouter ! Aveugle, je suis hélas passé à côté de ma femme, de mes enfants, qui ont grandi sans moi. Les petits plaisirs qui font le sel de l’existence, les moments de loisirs, les voyages, les fêtes en famille, les soins du couple, je les ai négligés sans deviner les dégâts que mon manque de disponibilité engendrait. Si bien qu’avec le recul, j’ai aujourd’hui le sentiment d’avoir quelque peu oublié de vivre, négligeant même notre troisième enfant, Cécile, née en 1995. Cette frénésie de travail était dans ma nature, en fait ! Je bossais douze heures par jour, samedi compris, et parfois même le dimanche, poussé par l’objectif de réussir, par ma volonté de faire en sorte que la décision du magistrat soit honorée coûte que coûte, conscient d’être titulaire d’une parcelle de puissance publique et d’avoir une mission à remplir. Profession noble, vieille comme le monde, utile au citoyen, mon métier représentait à mes yeux une bonne administration de la justice et la non-exécution d’une décision judiciaire constituait selon moi une grave

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