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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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Gaussan. Parfois il l’endossait après avoir fermé sa
porte à clé. Il se mirait dans son armoire à glace. Il avait maintenant un
semblant de moustache. Il la lissait comme il l’aurait fait, croyait-il, devant
une femme.
    Les
armées fondaient devant Napoléon. Les victoires devenaient démesurées. Palamède
se les faisait siennes. La dernière année avant ses dix-huit ans, il rayait au
mur de sa chambre les quantièmes qui le séparaient du temps béni où il dirait
adieu à sa mère. L’automne arriva. Six mois seulement séparaient encore
Palamède de la conscription.
    Antoine
lui acheta un fusil de chasse chez l’armurier Pourpre à Manosque.
    — Vous
êtes fou ! dit Sensitive. Vous trouvez qu’il n’est déjà pas assez guerrier
comme cela ?
    Antoine
ne répondit rien. Il apprit à Palamède l’art de la chasse qu’il pratiquait
lui-même depuis l’enfance. Palamède était bon élève et il avait le coup d’œil
infaillible de celui qui n’a pas de pitié.
    — Ce
soir d’automne, lui dit Antoine, c’est le plus beau. Les chachas s’abattent par
douzaines. Vous aimez ça, les grives ?
    Palamède
fît signe que oui. Le plateau d’Haurifeuille était peuplé de siffleuses et de
cages suspendues aux arbres où les appelants jouaient leur rôle de traîtres.
Parfois, la fusillade était nourrie tant les oiseaux s’abattaient en grand nombre
autour des cages. On vit Antoine glisser sur une dalle moussue et perdre
l’équilibre en s’embronchant dans une racine à ras de terre. Le coup partit.
Palamède se mit à hurler. Antoine se releva et se précipita vers le jeune homme
qui secouait sa main droite ensanglantée.
    Antoine
était anéanti. Il avait jeté au loin son fusil coupable.
    — J’ai
glissé ! Le fusil s’est accroché à une branche d’olivier. Je ne me
pardonnerai jamais !
    On
l’entourait. On entourait le blessé. Un qui était un peu médecin essayait de
faire un garrot à la main de Palamède évanoui.
    On
l’emporta à l’hôtel-Dieu.
    — Vous
êtes ignoble ! dit Sensitive à Antoine dès qu’elle le revit. Je ne vous
reconnais pas ! Comment pouvez-vous aimer cette distraction ignoble !
Vous avez failli tuer mon fils !
    Antoine
était écrasé devant elle. Il était l’humilité faite homme ; le regret, le
remords. Il dit qu’il ne toucherait plus jamais un fusil de sa vie. Et
néanmoins, il ne s’en dessaisit pas. L’arme resta suspendue à sa place
habituelle à Pitaugier, sous le manteau de la cheminée. Il dit aussi qu’après
cela il ne pourrait jamais plus approcher Sensitive ni la regarder dans les
yeux. Il dit tout cela. Il resta à Pitaugier sans revenir au château pendant
des mois sauf pour les relations de maître à valet qu’il continuait à assurer.
Quand il rencontrait Palamède, il ôtait son chapeau et baissait la tête devant
lui.
    Palamède
le traita avec bonté. Il lui dit tout ce qu’il convenait de dire pour
qu’Antoine se pardonnât sa maladresse. Mais Antoine restait effondré.
    Pendant
ce temps la marche inexorable de la guerre continuait en grossissant les rangs
des morts, mais tous les jeunes enfants mais tous les vétérans mais tous les
vieillards mais tous ceux qu’elle ne concernait pas, continuaient à vénérer
l’Empereur. Il n’y avait dans aucune chaumière, sur l’appui de la cheminée, une
seule tirelire en faïence qui ne fût à la célèbre effigie de Napoléon coiffé de
son légendaire chapeau.
    Les
tombes de marbre du cimetière de Mane s’enrichirent de trente mausolées nouveaux
avec sur les tablettes les médailles gagnées par les morts au champ d’honneur.
    Sensitive
tremblait pour Palamède de plus en plus piaffant d’impatience à mesure que
l’heure de la conscription avançait. Le jour vint. Avec quinze jeunes gens de
Mane, Palamède passa nu devant le conseil de révision. On lui écouta le cœur,
on lui soupesa les parties, on lui examina les dents, on lui tapa sur la fesse
comme à tous les autres ainsi qu’on fait aux chevaux de course.
    — Bon
pour le service ! Signe !
    Palamède
s’empara de la plume d’oie malaisément et signa illisible.
    — Mets
ton nom bien lisible à côté ! ordonna le maire.
    Le
résultat ne fut pas meilleur. Le fonctionnaire s’empara de la main du garçon.
    — Mais
il te manque un doigt !
    — La
moitié seulement ! dit Palamède.
    — Ça
fait rien ! Jamais tu pourras appuyer sur la détente avec une seule
phalange. Le code est

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