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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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prononcé. Elle reprit un instant après négligemment.
    — Naturellement,
vous, vous n’entendez rien ?
    — Que
devrais-je entendre ?
    — Ce
que tous les Gaussan ont entendu toute leur vie mais aussi quelques âmes
simples qui en ont eu le privilège par leur disponibilité. Vous savez, me
dit-elle, ma mère, par les jours de grosse pluie qui lui interdisaient d’aller
courir les grands bois, ma mère me racontait les temps anciens. Elle en avait
elle-même écouté les péripéties par les voix de ses grand-mères. Nous les
Gaussan nous avons vécu nos existences dans un brouhaha infernal. C’était celui
de ces nonnes martyrisées au XVI e siècle par les parpaillots. Elles
sont devenues innombrables au cours des siècles ou bien alors elles tournent en
rond pour toujours ! C’est une cavalcade soyeuse qui parcourt tous les
coins du château ! Comme une danse ! Comme un ballet !
    Elle me
saisit les poignets, me secoua.
    — Vous
n’entendez rien ? Vous n’entendez vraiment rien ?
    Elle
était hallucinée. Il était probable que ce froissement de soie qu’elle percevait
si précisément, et que je m’efforçais en vain de discerner par tous mes sens
aux aguets, était pour elle aussi normal que le bruit du vent.
    Bien sûr,
mes pratiques m’avaient en leur temps rapporté que les fantômes des religieuses
exterminées au XVI e siècle hantaient discrètement le château de leur
défilé d’ombres sempiternelles ; mais bien entendu, les sottes communes
qui se rabâchaient les unes aux autres cette légende n’y croyaient pas
elles-mêmes et il était d’autant plus inquiétant qu’Aigremoine, incroyante
notoire à tous les surnaturels, m’en parlât précisément ce jour pour la
première fois.
    D’autre
part, il ne m’avait pas échappé qu’elle tentait de me dissimuler cette lettre
pliée en quatre qui avait glissé hors d’un rouleau d’épures. Pour l’instant,
elle se débattait avec ce qui avait la forme d’un corps humain sans épaisseur
et qu’elle avait étalé tout à l’heure sur le billard trônant laidement dans le
vestibule du salon. C’était une housse fermée d’un ruban de soie passant
entrecroisé d’une boutonnière à l’autre. Impatiente d’en connaître le contenu,
Aigremoine saisit une paire de ciseaux dans son nécessaire et sectionna les
rubans en dix morceaux plutôt que de les dénouer patiemment. Je vis jaillir en
rouge et or les brandebourgs et les aiguillettes du plus bel uniforme guerrier
que j’aie jamais vu (ceux de 70 étaient ternes et fonctionnels, aucun n’avait
eu à soutenir un idéal romantique). Une abondance de brins de lavande momifiés
avait autrefois protégé des mites ce déguisement intact et rutilant. Aigremoine
était admirative.
    — J’ai
donc eu un hussard pour aïeul ! s’exclama-t-elle. Quel dommage !
    Pendant
qu’elle regrettait ainsi, je profitai de son inattention pour recueillir la
lettre abandonnée sur le billard. C’était une missive d’autrefois, fermée d’un
sceau brisé par le destinataire.
    — Ne
lisez pas ça ! dit Aigremoine.
    Mais
j’avais déjà déplié le billet daté 12 Vendémiaire an IV. L’écriture était
hautaine, comportait des mots bien formés. C’était la graphie de quelqu’un pour
qui écrire est une seconde nature. Je lus à haute voix :
     
    Ma
douce, je vous répondrai brièvement car je suis dans le plus profond désespoir
avec Benjamin : quatre mois seulement après notre rencontre, le maraud
vient de se découvrir un nouvel amour éternel (solae
inconstantiae constans). Bref J’arrose de mes larmes mon écritoire. Elles
brouillent l’encre dont je vous écris. Elles la dissolvent. Elles me laissent
juste assez de lucidité et pour peu de temps encore qui me permette de vous
répondre sur l’essentiel : en ce qui concerne l’enfant que vous portez,
les temps sont assez troublés afin que, chemin faisant, vous ayez été violée
par des sans-culottes non plus que sans scrupule, bien que ces gens-là fussent
fort vertueux et coupassent plus volontiers nos têtes qu’ils ne forçassent nos
quant-à-soi. La nature humaine étant ce qu’elle est, la chose a dû néanmoins se
produire à quelques reprises. Vous pouvez donc, sans état d’âme, vous en
prévaloir.
    Adieu
ma douce, les sanglots font mal aller ma plume. Sans doute serai-je morte
étiolée par le chagrin avant d’avoir pu goûter au plaisir de nous retrouver.
    Germaine
    Je
refermai le rouleau et

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