Chronique d'un chateau hante
le Trancheton. Tu comprends quand j’ai trouvé le crâne ça
allait, quand j’ai trouvé la lance, je l’ai prise et c’est tout, mais la
planchette, ça tu comprends, ça m’a fait chiffrer. Qu’est-ce que c’est ?
Qu’est-ce que ça représente ?
— Ma
foi ! dit le Mèche. On dirait un chariot. Mais des roues pareilles, j’en
ai jamais vu ! Mais attends un peu ! Ta pique, là ! Fais-moi un
peu voir.
Il alla
vivement se saisir de l’objet pour l’examiner.
— Mais
attends un peu ! On dirait un étui !
Il porta
la main sur l’objet. La housse tout de suite tomba en lambeaux. Les lanières se
répandirent sur le sol. Alors lentement mais intact, ils virent se déployer
tout seul sur sa hampe, l’orgueilleux emblème des ducs de Mantoue qui chatoyait
aux lueurs tremblantes de la chandelle. La tête de la Gorgone tirait toujours
la langue et les rayons autour d’elle flamboyaient dans le clair-obscur.
— Ça
vaut bien quelque chose ça quand même ? dit le Trancheton inquiet. Mais
dis, il fait bien chaud chez toi ?
— Fais
pas attention. C’est l’athanor.
— Ah
bon ! Dis-moi, tout ça, combien tu m’en donnes ? Regarde : sur
la tablette y a une espèce de sabot qui dépasse de la bâche. On dirait de
l’or ! De la peinture en or !
— Bougre !
Tu en as jamais vu de l’or !
— Justement !
J’ai jamais pu en voir ! C’est pour ça que je le reconnais !
Le Mèche
s’était rapproché de la chandelle pour mieux examiner l’esquisse.
— On
dirait…, dit-il. Mais non, c’est pas possible !
— On
dirait quoi ?
— On
dirait de l’or potable.
— Qu’est-ce
que c’est l’or potable ?
— Quelque
chose qui n’existe pas.
— Alors ?
Combien tu m’en donnes de tout ça ? J’ai essayé de le vendre, personne en
veut ! Pourtant le crâne est bien propre et l’espèce de chapeau qui le
coiffe, ça doit valoir quelque chose ça, non ?
Le Mèche
faisait la main molle et inconsistante pour tâter le tissu du gonfanon et le
chaperon du crâne. En même temps, il avançait une moue dépréciative en
examinant le tableau. C’est le biais de tous les marchands du monde quand il
s’agit d’acheter.
— Je
t’en donne quinze liards ! dit-il.
— Ça
en vaut au moins vingt ! dit le Trancheton.
— Je
t’en donne quinze et je te fais les lignes de la main !
— Pardieu
pas ! Pardieu pas ! dit le colosse plein d’effroi. Foutu comme je
suis et le siècle étant ce qu’il est, je préfère pas savoir !
Le Mèche
alla plonger la main dans la boîte à sel accrochée sous le manteau de la
cheminée et il en ramena trois pièces de cinq liards à l’effigie de feu la reine
Jeanne.
— Ne
dis à personne que je te les ai donnés pour ça, on me prendrait pour un
fou !
Le
colosse se retourna encore une fois avant de partir.
— Attends !
dit-il. Tu sais ce qu’on m’a dit ?
— Non.
— Il
paraît que nous sommes devenus franchimans ! Ça c’est un coup du
Forbin-Janson ! Ça fait un moment qu’il en avait envie !
— Ça
te brûlerait la gueule de dire le marquis ?
— Oh
dis ! je connais l’histoire ! Avant qu’ils se croisent, ils étaient
épiciers !
Le Mèche
hocha la tête. En refermant la porte sur son visiteur, il grommela :
— Français !
Il nous manquait plus que ça !
Mais
quand ce fut le silence, quand l’homme des bois se fut effacé dans la nuit, le
Mèche mit tout sur la table. Il contempla longtemps le gonfanon, il resta
longtemps la tête dans les mains à étudier la tablette avec sa goutte de
couleur or qui figurait un sabot d’équidé. Le dessin coloré, pour être fait à
la hâte, était une énigme mais esquissé de main de maître. Même si l’artiste
n’avait pas eu beaucoup de temps, il avait su saisir l’essence de l’instant
qu’il découvrait devant lui. Les flammes des torches fumantes sur le côté, et
qui éclairaient la scène en biais, lançaient des langues de feu vers le chariot
et son chargement. Les roues de cet engin étaient étranges. Les rayons en
étaient grossiers, mal équarris, mais leur épaisseur dénotait une grande
habitude de faire des roues.
— Il
semble…, grommela le Mèche.
Il
parlait seul pour s’expliquer les choses quand il était perplexe.
— Il
semble, répéta-t-il, que ces roues-là soient d’un temps où on commençait juste
d’en faire…
— Tu
as encore laissé s’éteindre l’athanor ! glapit une voix à
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