Chronique d'un chateau hante
Saint-Père le Pape et donc
inspiré directement par l’Esprit-Saint .
Si je
déroge, c’est pressé par la nécessité. Ma vie est menacée comme celle de tous
mes frères et de tous les Manoscains.
J’ai
été contraint de me séparer d’un trésor spirituel, rapporté jadis de Jérusalem
par nos frères dont nous sommes les héritiers et qui constitue la preuve
irréfutable de la vérité limpide des Saintes
Ecritures.
J’ai
dû confier cette relique aux bienheureuses épouses du Seigneur, les
conventuelles de Sainte-Claire à Gaussan, territoire de Mane .
Ce
transfert s’est effectué sous la contrainte de la peste qui ne désarmait pas
pour soustraire le Saint Objet au pillage prévisible par le malheur des temps.
Mon
successeur devra, muni de la présente, se faire restituer cette œuvre
inestimable par nos sœurs, les religieuses de Sainte-Claire .
Dans
le cas où celles-ci ne s’y résoudraient pas, il conviendrait d’ordonner au
quatrième ordre, les donats qui portent la demi-croix de l’ordre, de nous faire
rendre justice, même s’il en était besoin par le fer et par le feu. C’est ma
volonté posthume pour le bien et la gloire de l’ordre.
Premier
jour de l’année, 25 mars 1349
Guillaume de Venteyrol
— 1349 !
s’exclama le Mèche. L’année de la grande peste !
— Il
y a cent septante ans ! murmura le prêtre.
On eut
dit qu’il mesurait la réalité de cet énorme laps de temps. Il savait que les
Hospitaliers, seigneurs à demi-part de Manosque, existaient toujours mais
qu’ils étaient fort démunis. Ils n’avaient plus la temporelle que leur
conférait le privilège d’avoir reçu de Philippe le Bel, la dévolution des biens
des Templiers. L’autre seigneur de Manosque, Guillaume IV, leur avait porté un
fort mauvais coup en affranchissant la ville qui désormais se gouvernait et
surtout fixait les impôts, privant les Hospitaliers d’une forte partie de leurs
bénéfices.
La béatitude
que procuraient leur puissance et leur fortune n’attirait plus les cadets de
famille. Ceux-ci se tournaient vers des ordres plus riches et qui ne
craignaient pas d’être dépossédés.
— Actuellement,
dit le prêtre, ils ne sont plus en mesure de faire reprendre leur trésor ferro et igni par leurs donats. Ceux-ci n’existent plus. Ils ne peuvent
plus en lever parce qu’ils n’ont plus d’argent et plus de privilèges.
— Mais,
dit le Mèche, pourquoi tu me racontes ça à moi ? Tu sais que je suis à
moitié malsentant de la foi ?
— Oui !
Juste ce qu’il faut pour éviter le bûcher ! Seulement moi, l’autre jour,
j’ai reçu le Trancheton en confession !
— Le
Trancheton ! Ah, ça te fait une belle recrue pour tes processions !
Parce que si moi je suis à moitié mécréant, lui il l’est en plein ! Et
qu’est-ce qu’il t’a tant dit, le Trancheton ?
— Qu’il
t’avait vendu des choses qu’il avait trouvées en rabaillant. Des choses qui
ressemblaient à des biens religieux et qu’alors il avait des remords de te les
avoir cédées. Surtout, a-t-il dit, que tu lui en aurais donné quinze
liards ! Tu n’as pas honte ?
— Qué
honte ? Tu sais même pas ce que c’est !
Le Mèche
se dirigea vers la bugadière qui servait à la Clairance pour ses lessives. Il
en souleva le couvercle. En même temps, il extirpa d’un recoin le gonfanon de
Mantoue. Il brandit devant le curé le crâne vide et le chaperon qu’il jucha sur
le memento mori.
Ce crâne
brillait dans le matin clair. En dépit de ses orbites vides, sa superbe denture
conservée intacte étincelait encore aux rayons obliques du soleil levant qui
entrait jusqu’à l’athanor par la porte ouverte. On eût dit qu’il esquissait un
sourire.
En dépit
de sa foi robuste, le prêtre fit un pas en arrière.
— Tu
risques plus rien, ricana le Mèche. Celui-là il est mort depuis plus de cent
cinquante ans. Ce qu’il portait autour de cette tête, ça n’est plus à la mode
depuis au moins un siècle ! Et alors ? Tu crois que tout ça, ça vaut
plus de quinze liards ?
Le curé
s’était emparé de la planchette peinte et il l’examinait à loisir. Il la
brandit enfin devant le Mèche médusé.
— Et
ça ! dit-il. Tu crois que c’est rien ? Le paroissien qui a fait ces
esquisses, c’est pas n’importe qui ! Je reconnais les personnages. Ils
sont animés d’un mouvement unanime. On dirait qu’ils se pressent comme s’ils
avaient hâte d’arriver
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