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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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villages où elle allait sévir.
    C’était
une peste larvée qui ne semait pas la panique, simplement, au pied des cyprès
superbes du cimetière de Mane, on creusait deux ou trois tombes par semaine et
parfois parmi les familles éplorées qui suivaient le cercueil quelqu’un tombait
en pâmoison et on l’emportait vivement.
    Chérubin
Jean-le-Baptiste fut le premier à en être atteint. Un matin, étonné de ne pas
l’avoir vu de deux jours, Pallio vint jusqu’à la citadelle et réveilla les deux
domestiques. Ils trouvèrent l’architecte en sa chambre, claquant des dents,
ayant à la commissure de la lèvre supérieure un chambourche qui le défigurait.
Il avait dû ne pas cesser de travailler, ne pas tenir compte de son état, tant
son exaltation primait tout, tant il lui tardait de conduire la marquise devant
les fenêtres qu’on ménageait une à une dans l’intervalle des embrasures,
encadrant seulement le ciel car il n’y avait pas encore de plafond ; de
lui faire admirer par ces ouvertures la pièce d’eau, première magnificence
qu’on avait limitée par une margelle en pierre de Mane et où déjà quatre cygnes
s’ébattaient sans bruit, en majesté. On prévoyait une fontaine extraordinaire
qui l’alimenterait mais le sort voulut qu’elle ne soit jamais commencée.
    Curieusement,
les Vénitiens furent indemnes de cette peste. Il y avait eu en tant de siècles
à Venise tant d’épidémies que les survivants des familles atteintes avaient
transmis leur immunité à leur descendance.
    Cependant
la marquise relevait de ses couches funestes avec tout l’élan impétueux que la
vie refluant en elle imposait à sa robuste constitution. Ce fut l’apogée de sa
beauté, de son énergie.
    Elle
utilisa celle-ci à supplier Palamède qu’elle allât soigner le malheureux
Chérubin.
    — Vous
n’y pensez pas ! s’exclama le marquis. Vous relevez à peine vous-même des
portes de la mort ! Je me refuse à risquer de vous perdre. Il y a
suffisamment d’âmes sensibles à Mane pour se charger de ce malheureux, et au
surplus j’ai fait donner des ordres !
    — Si
cet homme meurt, lui rétorqua Gersande, je ne vous le pardonnerai jamais !
    Elle
croyait sincèrement à ce qu’elle était en train d’exprimer. Le marquis y crut
aussi. Il écarta les bras.
    — Eh
bien, dit-il, qu’il en soit fait selon la volonté de Dieu. Mais je vous en
supplie, ne voyez dans mon appréhension que la peur de vous perdre.
    Une
curieuse sensation habitait Gersande tandis qu’elle s’acheminait vers la
citadelle. Elle se sentait dans la main de Dieu et savait qu’elle pouvait avoir
confiance.
    Mais
quand elle se trouva dans la chambre de Chérubin, une abominable odeur de
défécation la prit à la gorge. Trois personnages muets de terreur étaient tapis
le plus loin possible de la ruelle où Chérubin vomissait. C’étaient ses deux
domestiques et le docteur Pardigon qui encensaient à l’aide d’un brûloir à
parfum l’atmosphère empestée, mais nul ne songeait à nettoyer le moribond.
Gersande ne regarda même pas le visage déjà noir ni les yeux implorants. Elle
fit apporter des bassines et de ses mains entreprit de rendre sa dignité à
Chérubin. À la fin, elle lui lava même le visage.
    — Faites
venir ici monsieur Brédannes ! commanda-t-elle.
    Le
docteur Pardigon se redressa d’un pied. À travers le masque à parfum qui le
faisait ressembler à un oiseau de mauvais augure, il fit entendre une voix
nasillarde qui protestait :
    — Vous
n’y pensez pas, madame. Un empirique !
    — Puisque
votre science ne peut plus rien !
    — Ce
malade est au-delà de ce que peut la science, madame.
    — Eh
bien justement ! Vous n’y pouvez plus rien !
    Le
docteur Pardigon se drapa dans sa dignité outragée.
    — Moi !
Un médecin ! Avec la réputation que j’ai ! Et tout Mane me verrait
aller supplier ce charlatan qu’on devrait brûler en place publique !
    — Eh
bien soit ! j’irai moi-même !
    En
contemplant sans aucun dégoût ses manchettes légèrement souillées, elle
finissait de se laver tranquillement les mains dans le bassin vidé des
excréments et où on avait tout simplement remplacé l’eau corrompue par de l’eau
claire.
    — Ainsi
en sera-t-il au Jugement dernier, murmura-t-elle. Toute matière confondue.
    Par les
ruelles empuanties et où macérait un été putride, elle gagna l’antre de ce
Brédannes. Il avait peint sur sa porte en grosses

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