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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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Soudain, les femmes de Mane entendirent ces voix
fabuleuses qui évoquaient l’amour charnel rien qu’en achetant du pain ou en
donnant un ordre à un cheval. Elles en rêvèrent la nuit à leur corps défendant.
    Le
vénitien était un idiome de langueur et de persuasion. Celui qui chantait en ce
langage, on avait l’impression qu’il se couchait de tout son long au travers de
votre seuil.
    Quelques
villageoises allèrent jusqu’à l’apprendre et à en partager le feu avec quelqu’un
de ces bâtisseurs qui travaillaient en chantant du Vivaldi en répons amoureux,
mais la plupart, vertueuses, se contentèrent d’apprendre à leurs maris, avec
des voix quelquefois fausses, comment on chantait l’amour à Venise.
    Cependant
la marquise était intriguée par l’attitude de Palamède. Dans le lit conjugal
maintenant trop grand, le marquis se tenait au bas bout, en garde contre
lui-même, bien serré sur son propre corps et occupant le moins d’espace
possible.
    Gersande
résista pendant huit jours. Il y avait maintenant trois mois (la fin de la
grossesse, l’accouchement dramatique, la peste de Chérubin) qu’elle n’avait
plus eu le loisir de réclamer le déduit.
    Elle se
mit brusquement sur son séant, à genoux, le derrière touchant les chevilles et
dénudée sur les draps rejetés.
    — Eh
bien quoi ? dit-elle. Vous ne m’aimez plus ?
    Il ne fit
pas semblant de ne pas comprendre. Il y avait des semaines qu’il se préparait à
cette confrontation et qu’il se répétait ce qu’il lui dit alors :
    — Ma
mie, je vous aime au contraire plus que vous ne le croyez. Quand je vous ai vue
lors de ces funestes couches lutter contre la mort avec votre pauvre visage, je
me suis juré si vous en réchappiez de m’abstenir désormais de vous rechercher.
    La
marquise se mit à pousser des cris furieux.
    — Comment,
vous vous abstiendrez ! Vous voulez dire que vous ne me rechercherez
plus ?
    — C’est
exactement ce que je veux dire.
    — Mais
savez-vous ce faisant à quoi vous vous exposez ?
    Le
marquis qui était étendu de tout son long, et qui voyait devant lui les seins
superbes de sa femme le surplombant, eut besoin de tout son courage pour ouvrir
les bras en signe de fatalité.
    — Du
moins ne serai-je plus responsable de ce qui pourrait arriver.
    — Mon
ami, vous êtes absurde ! Vous vous privez et vous me privez d’un plaisir
divin.
    Elle
s’éloigna de lui au bord du lit au risque d’en tomber. Elle sanglota toute la
nuit, son petit mouchoir tout mouillé trituré entre ses doigts.
    Palamède
souffrait le martyre.
    — Mais
ce n’est pas pour toujours, lui dit-il. Un jour vous ne serez plus
féconde ! Ce jour béni nous recommencerons.
    — Je
serai vieille, flétrie, je n’en aurai plus envie et vous non plus !
    Ainsi
vécurent-ils toute une nuit, séparés pour la première fois par la pensée et les
paroles irrémédiablement prononcées.
    — Vous
êtes absurde ! avait dit Gersande.
    Palamède
en convenait volontiers mais il ne voulait pas risquer la vie de la marquise.
Dieu, qu’il avait supplié, l’avait entendu une fois. Il était improbable qu’il
récidivât.
    Pendant
ce temps, depuis la terrasse de Montlouis, les époux désormais mélancoliques
pouvaient voir au loin s’élever les murailles et les croisées de leur future
demeure.
    La peste
était passée sans bruit alors qu’on courbait l’échine sous sa menace. La
bâtisse n’était encore qu’un amas informe hérissé d’échafaudages avec des
chantiers de taille qui s’éparpillaient en désordre à l’infini. Il y avait
maintenant deux cents hommes qui construisaient en chantant ces murs blonds aux
hautes fenêtres (il y en avait trente au rez-de-chaussée et autant à l’étage).
Ce n’étaient qu’ordres en alexandrins et jurons psalmodiés selon l’ordre
grégorien et parfois quelque aria de Venise que les Manarains s’efforçaient de
suivre. Ceux-ci étaient étonnés qu’un tel travail pût se faire en chantant. Ils
perdaient leur morosité ancestrale. Ils ne grimaçaient plus sous l’effort. Les
bâtisseurs, maintenant de toute provenance, entendaient parfaitement le
français et l’italien mais ils n’obéissaient qu’aux ordres lancés en vénitien,
tant cette langue leur paraissait convenir à la demeure lumineuse qu’ils
étaient en train d’élever.
    Ce
n’étaient encore qu’enchevêtrements de gabarits, plans inclinés, brouettes
chargées de mortier dans une

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