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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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lettres :
« Apothicaire. »
    C’était
une manière d’imbécile imbu de sa personne qui marchait toujours avec
componction comme s’il portait le saint sacrement. On disait qu’il avait partie
liée avec le diable. On le craignait plus qu’on ne l’admirait. Toutefois,
l’œuvre de Dieu étant partout présente, il arrivait que les emplâtres et les
potions de ce Brédannes fissent miracle. Ce n’était pas constant. Quelquefois
il réussissait, à d’autres, il échouait. Il attribuait ses échecs à l’absence
de foi de ses pratiques. En outre, il avait ses têtes et si vous, par malheur,
vous en affichiez une où se lisait l’ombre d’un doute, vous étiez évincé
d’office de ses bons soins.
    Il
balança longuement, devant la marquise à genoux, s’il allait croire à la foi de
cette dame de haut parage. Finalement il se laissa fléchir par sa beauté et par
ses larmes, et contre dix louis payés séance tenante.
    Tête nue,
qu’il avait très étroite, très chauve et noueuse, il se mit en branle avec
cérémonie. Son aide voiturait dans une brouette une sorte de miniature
d’alambic où bouillait toujours un élixir quelconque qui devait, disait-il,
être consommé dès la sortie du serpentin quand la vapeur à peine se transmutait
en liquide.
    Il
installa l’appareil au chevet du mourant. Avec une pipette, il volait
littéralement à l’alambic la goutte condensée qui s’échappait du serpentin à
intervalle régulier. Il en arrosa même le chambourche qui s’effaça à la
troisième aspersion. Le halètement caverneux du malade s’atténua puis se tut.
On le crut mort. Il dormait. Son visage se reconstituait comme fleurs coupées
qu’on plonge dans l’eau. Pendant toutes les simagrées qui précédèrent ce
miracle, le docteur Pardigon, tapi au fond de la chambre, n’arrêta pas de
balancer son encensoir à parfum, afin de pouvoir affirmer plus tard que c’était
grâce à cet assainissement salutaire et non par les soins de l’empirique que la
guérison s’était affirmée.
    Le
Brédannes était si estomaqué qu’il mit dix minutes avant de réclamer cinq louis
de mieux, la guérison étant plus subite qu’il ne l’avait lui-même espéré, arguant
que s’il n’avait réclamé que dix louis, c’était en vue du seul soulagement du
patient, que du moment qu’alors il s’agissait de guérison, il en allait
différemment ; le prix de dix louis, selon lui, n’impliquait pas que le
malade en réchappât.
    Chérubin
incontinent réclama ses papiers, ses crayons, ses fusains et ses calames. Dans
le délire de la peste, il alla pêcher les allégories dont il comptait orner en
parallèle les deux frontons doriques du bâtiment. C’était un aveu. Il avait eu
la vision d’un quadrige de chevaux cabrés prêts au galop et attelés d’un char
antique. À la proue de ce char, une Vénus casquée refrénait l’élan du quadrige.
C’était le visage et le corps nu de la marquise tel qu’il s’était figé dans
l’imagination de Chérubin la première fois où il l’avait vue. Son sein était
barré de l’égide et elle dardait vers le ciel un arc bandé pour l’éternité.
    Il y
travailla trois jours sans manger ni boire, hanté par la fièvre de la création
et soutenu par elle. Son corps de vingt-cinq ans n’était plus que plissements
et ravines. Ses chausses lui descendaient sur les hanches tant il avait maigri.
Il montra l’esquisse à Pallio.
    — Il
l’aime ! s’exclama à voix basse le Vénitien en son idiome.
    Il en
conçut aussitôt une haine mortelle. Ce qu’il n’osait se dire même en son for
intérieur à l’endroit de la marquise, ce qui était son secret désir, voilà que
ce freluquet l’exprimait par son art en toute innocence, en toute ferveur.
Pallio, à l’instant, projeta de l’anéantir ; toutefois pas avant que l’œuvre
ne fût avancée et que l’on n’eût plus besoin de lui.
    Quant à
la marquise, la mélancolie l’envahissait. D’exubérante qu’elle était jusque-là,
elle devint rêveuse mais elle ne comprenait pas encore pourquoi.
    Une
tristesse apparemment sans objet s’emparait d’elle, quand, appuyée à la
balustrade de Montlouis, elle écoutait le soir les Vénitiens bercer leurs
épouses devant les cabanes qu’ils s’étaient construites un peu partout dans le
parc avec l’autorisation de Palamède, à la condition de les détruire sitôt le château
terminé.
    Elle
n’était pas seule, d’ailleurs.

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