Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
Vom Netzwerk:
être lui-même rêveusement amoureux de la marquise qu’il imaginait
dans toutes les positions possibles, mais la mère de ses enfants constituait un
objet sacré à son usage personnel.
    Il lui
arriva en route toutes sortes de mésaventures dont la moindre ne fut pas, au
fond de quelque auberge obscure où il avait eu le tort de lutiner la servante,
de hasarder sa vie et le sac d’écus. Cette aventure le rendit prudent et il
atteignit Rome sans encombre. La Ville éternelle, celle qui disparaissait sous
les décombres entassés, était devenue un vaste chantier où chacun pouvait, en
payant, se servir en vestiges. Les auberges obscures ne manquaient pas alentour
où négocier l’achat de toutes sortes de statues de dieux déchus aux yeux sans
expression qu’on avait figurés deux mille ans auparavant. Pallio, qui avait le
goût vénitien, ne manqua pas de constater que ces grossières imitations de
l’art grec archaïque étaient trop lourdes pour contenir la foi en ce qu’elles
représentaient. Il remarqua notamment que les Vénus et les Junon ne valaient
pour évoquer l’amour ni le souvenir de sa femme bien-aimée ni celui de la
marquise lointaine et convoitée.
    Il avait
besoin d’hommes et de chevaux pour son dessein et il ne se fiait pas aux
Romains réputés nonchalants. Il se mit à fredonner en langue vénète dans les courtils,
et il attira aussitôt quelques douzaines de Vénitiens de bon ton qui se mirent
à chantonner à l’unisson.
    Ces
hommes étaient oisifs et disponibles. Ils eurent tôt fait de lui découvrir
seize chevaux du Frioul qui sont les meilleurs d’Italie. Ils dirent à Pallio
que les colonnes, oui, elles étaient faciles à trouver mais qu’on risquait la
corde à les déplacer, chose qui ne pouvait se faire sans être vus. Ils
fournirent à Pallio la liste des gardiens dont il fallait détourner les yeux,
sans en oublier un seul. Les chevaux du Frioul firent merveille. Les
palefreniers et les charretiers qui se louaient avec eux furent
particulièrement efficaces. Il y eut bien deux ou trois coups de poignard à
échanger avec des ruffians lesquels, ayant épié tout ce beau monde,
prétendirent prélever leur dîme, mais la force resta au grand nombre et trois
cadavres à enterrer dans les ruines de Rome, trois de plus ou de moins,
n’étaient pas pour donner des remords à des gens qui avaient femmes et enfants
à nourrir. On vit même arriver en cette occasion au clair de lune, tandis qu’on
achevait d’arrimer les colonnes sur les fardiers, un monsignore en robe
cramoisie qui proposa le service divin et l’oubli des offenses contre quelque
denier du culte.
    Enfin le
charroi, trois fardiers accouplés avec des chaînes, accompagné cette fois de
chants napolitains dans les claquements de fouet scandés qui effleuraient les
oreilles des bêtes, s’achemina vers le port d’Ostie.
    La
transaction avec le patron d’une felouque qui venait de fournir en blé de
Provence les mercantis du Latium (la disette était ici toujours à son comble et
le blé cher), cette transaction fut rude à négocier. Mais Pallio sut se faire
accompagner de deux accortes cousines recrutées dans les campagnes misérables
où l’on ne trouvait à manger que le quart de son saoul. Ces personnes,
poitrines hautes savamment étalées sur la table pour être sous les yeux du
ruffian, gagnèrent le procès. Elles eurent tôt fait de décontenancer le rustre.
    La
felouque était légère, à chaque colonne embarquée elle penchait d’un côté ou de
l’autre. Quand tout fut équilibré, l’eau clapotait au ras du pont. Le patron
mâchait sa chique en râlant. L’équipage avait la gorge sèche. La frêle voile
tremblait et l’on eût dit que c’était de peur. Les colonnes à chaque ressac
faisaient connaître leur poids de marbre et les matelots, tous patibulaires, se
demandèrent en leur for intérieur s’ils n’allaient pas couler avant de sortir
du port.
    Pallio
pensait à ses enfants, à sa femme, à Gersande. Il y pensa jusqu’à Marseille.
Heureusement les vents Étésiens, fréquents dans ces parages, se levèrent
majestueusement, tenant la felouque vent debout sur son étrave, et héraldique
quoique lente, sous la menace perpétuelle du naufrage. Aux abords des îles
Sanguinaires toutefois il ne resta plus qu’à prier. Dans ces parages où les
vagues n’ont pas la place pour s’étaler et se bousculent, on ressent le mieux
cette évidence : la Méditerranée est une cuvette

Weitere Kostenlose Bücher