Claude, empereur malgré lui
d’interroger Lesbie moi - même, aussi demandai-je à Messaline de le faire. J’estimais qu’elle avait plus que moi en cette affaire matière à ressentiment ; je souhaitais rentrer dans ses faveurs et lui montrer combien j’étais désolé d’avoir pu lui donner l’occasion du moindre pincement de jalousie. Elle se fit un plaisir de réprimander Lesbie pour son ingratitude et de l’informer de sa peine : le bannissement à Reggio, dans le sud de l’Italie, la ville où sa grand-mère Julie était morte en exil pour le même motif. Messaline raconta ensuite que Lesbie s’était exprimée d’une façon très insolente, mais qu’elle avait fini par admettre l’adultère avec Sénèque, en disant que son corps lui appartenait et qu’elle avait le droit d’en faire ce qu’elle voulait. Quand elle apprit qu’elle allait être exilée, elle entra dans une violente colère et nous menaça tous deux. « Un matin, dit-elle, les serviteurs du palais pénétreront dans la chambre impériale et vous trouveront tous deux la gorge ouverte. » Elle dit aussi : « Comment croyez-vous que mon mari et mes enfants reçoivent cette insulte ? »
— Rien que des mots, ma chère, dis-je à Messaline. Je ne les prends pas au sérieux ; pourtant, nous ferions peut-être mieux d’avoir l’œil sur Vinicius et ses partisans.
La nuit même où Lesbie se mit en route pour Reggio, peu avant l’aube, Messaline et moi fûmes réveillés par un cri soudain et les échos d’une bousculade dans le couloir qui longeait notre chambre, suivis d’une sorte d’éternuement violent accompagné de cris « Attrapez-le ! À l’assassin ! Au meurtre ! Attrapez-le ! » Je bondis hors du lit, le cœur battant à tout rompre sous ce choc brutal, et m’emparai vivement d’un tabouret comme arme de défense, tout en criant à Messaline de se tenir derrière moi. Mais mon courage ne fut pas mis à l’épreuve. L’homme était seul et déjà désarmé.
Je donnai aux gardes l’ordre de se tenir sous les armes jusqu’au jour et allai me recoucher, encore qu’il me fallût quelque temps pour me rendormir. Messaline semblait fort déprimée, effrayée même au point d’en avoir perdu l’esprit, riant et pleurant tour à tour. « C’est un mauvais coup de Lesbie, sanglotait-elle, j’en suis certaine. »
Le matin venu, je me fis amener le soi-disant assassin. Il avoua être un affranchi de Lesbie. Mais, pour se déguiser, il avait revêtu la livrée du palais. C’était un Grec de Syrie et son histoire était des plus absurdes. Jamais, dit-il, il n’avait eu l’intention de m’assassiner. Tout était arrivé par sa faute, il s’était trompé en répétant les mots à la porte du Mystère. « Quel Mystère ? » demandai-je.
— On m’a défendu de le dire, César. Tu vas apprendre ce que je vais oser te dévoiler. C’est le plus sacré de tous les Mystères sacrés. J’y ai été initié la nuit dernière. La cérémonie a eu lieu sous la terre. Un certain oiseau a été sacrifié et j’en ai bu le sang. Puis deux esprits de haute taille sont apparus, le visage luisant ; ils m’ont remis une dague et une poivrière, et m’ont expliqué ce que ces instruments symbolisaient. Ils m’ont alors bandé les yeux, ont changé mes vêtements et m’ont enjoint de garder le silence le plus complet. Ils ont répété des mots magiques et m’ont dit de les suivre aux Enfers. Ils m’ont conduit ici et là, m’ont fait monter et descendre des escaliers, m’ont mené à travers rues et jardins, décrivant tandis que nous marchions d’étranges spectacles. Nous sommes montés dans une barque et nous avons payé le passeur. C’était Caron lui-même. Il nous a déposés sur le rivage des Enfers. Ils me les ont fait visiter de fond en comble. Les fantômes de mes ancêtres m’ont parlé. J’ai entendu Cerbère aboyer. Enfin, ils ont ôté le bandeau qui me couvrait les yeux et m’ont murmuré à l’oreille : « Tu es maintenant dans le palais du Dieu de la Mort. Cache cette dague sous ta robe. Suis ce corridor, prends à droite, monte l’escalier qui est au bout et suis un second corridor sur ta gauche. Si une sentinelle t’interpelle, donne-lui le mot de passe. C’est « Destin ». Le Dieu de la Mort et sa Déesse dorment dans la pièce située au bout du couloir. À leur porte, deux autres sentinelles montent la garde. Elles sont différentes des
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