Claude, empereur malgré lui
les prières ?
— Quelles prières ?
— Ne prescris-tu donc pas des prières spéciales à dire quand on prend la médecine ? Tous les autres docteurs qui ont essayé de me guérir m’ont donné des prières spéciales à réciter pendant la préparation et l’absorption du remède.
Il me répondit avec une certaine raideur :
— Il me semble, César, qu’en tant que Grand Pontife et auteur d’une histoire des origines religieuses de Rome, tu es plus qualifié que moi pour te charger de l’aspect théurgique du traitement.
Je compris que c’était un incroyant, comme tant de Grecs, aussi n’insistai-je pas ; ainsi prit fin notre entretien ; il me pria de bien vouloir l’excuser, il avait des malades dans sa salle d’attente.
La bryone me guérit. Pour la première fois de ma vie, je sus ce que c’était de me sentir parfaitement bien. Je suivis à la lettre les avis de Xénophon et c’est à peine si je me suis trouvé malade une seule fois depuis. Bien sûr, je boite toujours et il m’arrive de bégayer et de secouer ma tête par habitude, quand je me sens nerveux. Mais mon aphasie a disparu, ma main ne tremble presque plus et je suis encore capable, à l’âge de soixante-quatre ans, de travailler, si nécessaire, quatorze heures par jour sans éprouver de fatigue excessive à la fin de la journée. Il m’est arrivé de ressentir de nouveau la passion cardiaque, mais uniquement dans les circonstances contre lesquelles Xénophon m’avait mis en garde.
Soyez assuré que j’ai largement récompensé Xénophon pour sa bryone. Je l’ai convaincu de venir s’installer au palais en tant que confrère de Largus ; Largus était, à sa façon, un bon praticien et il avait écrit plusieurs traités de médecine. Xénophon tout d’abord déclina ma proposition. Il s’était fait une importante clientèle privée pendant les quelques mois qu’il avait passés à Rome : il l’évaluait à trois mille pièces d’or par an. Je lui en offris six mille – le salaire de Largus n’était que de trois mille – et quand je le vis hésiter encore, je lui dis :
— Xénophon, il faut que tu viennes ; j’insiste. Et quand tu m’auras gardé en vie et bien portant pendant quinze ans, les gouverneurs de Cos recevront une lettre officielle les informant que l’île où tu as appris la médecine sera désormais dispensée de fournir des contingents militaires et de payer tribut au gouvernement impérial.
Alors il accepta. Quant à la divinité à qui mon affranchi adressait ses prières en mélangeant mon remède, c’était la déesse Carna, une vieille Déesse sabine à laquelle les Claudes avaient toujours rendu un culte depuis l’époque d’Appius Claudius et de Régillus. Un médicament préparé et pris sans prières m’aurait semblé aussi inutile et néfaste qu’un mariage célébré sans invités, sans sacrifices ni musique.
Pendant que j’y pense, il me faut noter deux conseils de santé particulièrement valables que j’ai appris à Xénophon. Il avait l’habitude de dire : « Qui fait passer les manières avant sa santé est un sot. Si des vents t’incommodent, ne les retiens pas. Ils provoqueraient de violents maux de ventre. J’ai connu un homme qui a failli se tuer en retenant un pet. Si pour une raison quelconque tu ne peux commodément quitter la pièce, par exemple, si tu offres un sacrifice ou si tu parles au Sénat, ne crains pas de roter ou de lâcher un vent là où tu te trouves. Mieux vaut que la compagnie éprouve quelque gêne plutôt qu’en pâtisse ta santé. D’autre part, quand tu es enrhumé, ne te mouche pas sans cesse. Tu ne fais qu’augmenter l’écoulement du flux muqueux et tu enflammes les délicates membranes de ton nez. Laisse-le couler. Essuie-le, ne te mouche pas. » J’ai toujours suivi les conseils de Xénophon, du moins en ce qui concerne mon nez : mes rhumes durent bien moins longtemps qu’avant. Bien entendu, caricaturistes et pamphlétaires ont raillé la goutte que j’ai en permanence au bout du nez, mais quelle importance ? Messaline a approuvé ce souci que j’avais de ma santé : si j’allais mourir subitement ou tomber gravement malade, que deviendraient la cité et l’Empire, sans parler d’elle-même et de notre petit garçon ?
— Je commence à me repentir de ma bonté, me confia un jour Messaline.
— Veux-tu dire qu’après tout j’aurais dû laisser ma
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