Claude, empereur malgré lui
Dieux.
« À César lui-même, à qui tout est permis, bien des actes sont refusés pour cette même raison. Sa vigilance protège tous les foyers ; ses travaux contribuent aux loisirs de tous ; son assiduité procure aux citoyens le bonheur : leur sérénité tient à son dur labeur. Du moment même où César s’est consacré tout entier à l’humanité, il s’est dépouillé de sa propre personnalité et, telles les étoiles qui parcourent inlassablement leur cycle perpétuel, il ne s’est depuis accordé un instant de repos, il ne s’est jamais permis de s’occuper de ses propres affaires. Et en quelque sorte, Polybe, ton destin est lié à ce destin auguste, et toi non plus, tu ne peux maintenant te permettre de veiller à tes intérêts particuliers, de poursuivre tes recherches personnelles. Tant que César dirige le monde, tu ne peux honorablement éprouver de joie, de chagrin ou toute autre émotion humaine. Tu appartiens tout entier à César. Et tes lèvres ne sont-elles pas constamment prêtes à dire que César t’est plus cher que ta propre vie ? Alors, as-tu le droit de te plaindre de ce coup du sort, alors que César vit et se porte bien ? » Et ce n’était pas fini ; il s’étendait encore sur ma bonté d’âme et ma générosité merveilleuses, et mettait dans ma bouche d’extravagantes réflexions sur la plus noble façon de supporter la perte d’un frère. J’étais censé rappeler l’affliction de mon grand-père Marc Antoine à la mort de son frère Gaius, celle de mon oncle Tibère à la mort de mon père, de Gaius à la mort du jeune Lucius, la mienne propre à la mort de mon frère Germanicus, puis j’évoquais le courage avec lequel nous avions, chacun à notre tour, supporté ces malheurs. Ce miel visqueux n’eut qu’un effet sur moi. Il me confirma que je n’avais causé de tort à personne en exilant Sénèque – sauf peut-être aux Corses.
CHAPITRE 13
Les Grecs d’Alexandrie dépêchèrent des instructions à leurs envoyés, qui se trouvaient encore à Rome, pour me féliciter de mes victoires en Germanie, pour se plaindre du comportement insolent des Juifs à leur égard (il y avait eu une recrudescence des troubles dans la ville), pour me demander l’autorisation de rétablir le Sénat d’Alexandrie et, une fois de plus, pour m’offrir des temples dotés et pourvus de prêtres. Outre cette distinction suprême, ils comptaient m’honorer de façon moins éclatante en m’offrant, entre autres, deux statues d’or dont l’une représentait la « Paix de Claude Auguste » et l’autre « Germanicus le Victorieux ». J’acceptai cette dernière parce qu’elle rendait surtout hommage à mon père et à mon frère, dont les victoires avaient été beaucoup plus décisives que les miennes, et personnellement gagnées, et parce que les traits de la statue étaient les leurs et non les miens. (Mon frère avait été la vivante image de mon père, tout le monde en convenait.) Comme d’habitude, les Juifs envoyèrent une contre-ambassade, me félicitant de mes victoires, me remerciant de ma générosité envers eux dans l’affaire de la lettre circulaire que j’avais écrite au sujet de la tolérance religieuse vis-à-vis des Juifs, et accusant les Alexandrins d’avoir provoqué ces nouveaux soulèvements ; ils avaient, disaient les Juifs, interrompu la célébration de leurs rites religieux par des chants et des danses paillardes à l’extérieur des synagogues, les jours saints. J’inclus ici-même la réponse exacte que j’ai faite aux habitants d’Alexandrie, afin de montrer combien j’étais alors capable de maîtriser de telles situations :
Tibère Claude César Auguste Germanicus, Empereur, Grand Pontife, Protecteur du Peuple, Consul Élu, à la cité d’Alexandrie, salut.
Tiberius Claudius Barbillus, Apollonius fils d’Artémidore, Chéremon fils de Léonide, Marcus Julius Asclépiade, Caius Julius Dionysius, Tiberius Claudius Phanias, Pasion fils de Potamon, Dionysius fils de Sabbion, Tiberius Claudius Apollonius fils d’Ariston, Caius Julius Apollonius et Hermaiscus fils d’Apollonius, vos envoyés, m’ont fait part de votre décision et m’ont longuement parlé de la cité d’Alexandrie, rappelant la bienveillance dont, vous le savez, j’ai toujours fait preuve à votre égard depuis de nombreuses années ; car vous vous montrez d’un naturel loyal envers la Maison
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