Claude, empereur malgré lui
précédentes. Nous ne connaissons pas leur mot de passe. Mais glisse-toi dans l’ombre tout près d’elles et jette-leur aux yeux cette poudre de poivre sacrée. Alors, ouvre hardiment la porte et frappe le Dieu et la Déesse. Si tu réussis dans ton entreprise, tu vivras à jamais en des lieux où règne une éternelle félicité et l’on te tiendra pour plus grand qu’Hercule, plus grand que Prométhée, plus grand que Jupiter lui - même. Il n’y aura plus de Mort. Mais, tout au long de ta route, tu dois te répéter sans cesse les mots de ce charme que nous avons utilisé pour t’amener ici en toute sûreté. Si tu ne suis pas nos instructions, nos conseils auront été vains. Le charme sera rompu et tu te retrouveras dans un endroit tout à fait différent. » Une grande peur m’a pris. Je me suis sûrement trompé dans la formule magique, car au moment où je levais le bras pour lancer le poivre, je me suis retrouvé brusquement à Rome, dans ton palais impérial, en train de lutter avec les gardes postés à la porte de ta chambre. J’avais échoué. La Mort règne toujours. Un jour viendra où un homme plus courageux que moi, plus maître de lui que je ne le fus, portera ce coup.
— Les complices de Lesbie sont très habiles, murmura Messaline. Quelle parfaite machination !
— Qui t’a initié ? demandai-je à l’homme. Il refusa de répondre, même sous la torture, et je n’obtins que peu de renseignements des gardes de la grand-porte qui, comme par un fait exprès, étaient de nouvelles recrues. Ils dirent l’avoir laissé entrer parce qu’il était revêtu de la livrée du palais et savait le mot de passe. Je ne pus les en blâmer. L’homme était arrivé à la porte avec deux compagnons, également en livrée du palais ; ils lui avaient dit bonsoir et s’étaient éloignés à grands pas.
J’inclinai à croire l’histoire de cet affranchi ; mais il persista dans son attitude et refusa de dire qui était à l’origine de son initiation à ces prétendus mystères. Quand je lui assurai avec courtoisie qu’il ne pouvait s’agir de vrais mystères, mais qu’il avait été le jouet d’une supercherie minutieusement préparée et que, par conséquent, son serment ne le liait plus, il s’emporta violemment et prit le ton le plus grossier. Aussi fallut-il l’exécuter. Et, après un long débat avec moi - même, je donnai raison à Messaline : dans l’intérêt de la sécurité publique, il était maintenant nécessaire de faire exécuter Lesbie elle aussi. J’envoyai à sa recherche un détachement de la cavalerie de la Garde et le lendemain on me rapporta sa tête pour preuve de sa mort. Il me fut très pénible d’avoir à supprimer une fille de mon cher frère Germanicus, après avoir juré à sa mort d’aimer et de protéger tous ses enfants comme s’ils étaient les miens. Mais je me consolai en me disant que, dans des circonstances analogues, il aurait agi de même. Le bien public passait toujours pour lui avant les sentiments personnels.
Quant à Sénèque, je fis savoir au Sénat que, à moins qu’il ne trouvât quelque bonne raison motivant un avis contraire, je souhaitais un vote l’exilant en Corse. Aussi le bannit-on, en lui accordant trente heures pour quitter Rome et trente jours pour quitter l’Italie. Sénèque n’était pas populaire au Sénat. En Corse, il aurait tout le temps de mettre en pratique la philosophie des Stoïciens – à laquelle il avait annoncé s’être converti à la suite d’un mot à leur louange que j’avais prononcé par hasard. La flagornerie dont cet individu était capable avait quelque chose d’écœurant. Quand un an ou deux plus tard mon secrétaire Polybe perdit un frère, qu’il aimait beaucoup, Sénèque, qui connaissait vaguement Polybe et son frère pas du tout, lui envoya de Corse une longue lettre bien tournée qu’il s’arrangea pour faire publier à Rome sous le titre de Consolation à Polybe. Cette prétendue Consolation se présentait sous la forme d’une aimable réprimande adressée à Polybe qui se laissait aller au chagrin d’avoir perdu son frère, tandis que moi, César, je vivais en parfaite santé et continuais à lui montrer les marques de ma faveur princière : « Tant que César a besoin de Polybe, écrivait Sénèque, Polybe n’a pas plus le droit de se laisser aller que le géant Atlas, qui, dit-on, porte le monde sur ses épaules, respectueux de la volonté des
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