Claude, empereur malgré lui
traversait.
— Si c’est de l’argent qu’il veut, dis-je à ma mère, nous répondrons que nous n’en avons pas.
Et en vérité, nous étions à l’époque très dépourvus, comme je l’ai expliqué dans mon livre précédent. Mais ma mère répliqua :
— Ta bassesse me fait honte, Claude. Tu as toujours été un rustre. Si Hérode a besoin d’argent parce qu’il est en difficulté, il faut de toute évidence lui en trouver d’une façon ou d’une autre ; je le dois à la mémoire de sa chère mère Bérénice. En dépit de ses coutumes religieuses extravagantes, Bérénice était l’une de mes meilleures amies. Et je ne parle pas de la parfaite maîtresse de maison qu’elle était !
Ma mère n’avait pas vu Hérode depuis sept ans et il lui avait beaucoup manqué. Mais il avait entretenu avec elle une correspondance assidue, exposant tous ses ennuis successifs avec une telle verve que ses lettres n’auraient pas déparé les merveilleux livres de contes grecs. La plus amusante de ces lettres fut peut-être celle qu’il écrivit d’Édom peu après avoir quitté Rome où il racontait comment Cypros, sa douce, chère, et sotte épouse, l’avait dissuadé de sauter du haut des remparts de la forteresse. « Elle avait tout à fait raison, concluait-il. Cette tour était bien trop haute. » Une lettre récente, envoyée également d’Édom, était de la même veine ; il l’avait écrite tandis qu’il attendait l’argent d’Acre. Il y déplorait le degré d’abjection morale où il était tombé en volant le chameau de monte d’un marchand persan. Sa confusion toutefois, disait-il, s’était bientôt muée en fierté vertueuse en raison du service qu’il avait rendu au propriétaire ; l’animal était apparemment le siège permanent de sept esprits plus malfaisants les uns que les autres. Le marchand avait dû être fort soulagé de se trouver, un matin au réveil, dépossédé de cet animal possédé, selle et bride comprises. La traversée du désert de Syrie avait été terrifiante, le chameau faisant de son mieux pour le tuer au franchissement de chaque cours d’eau à sec ou de chaque défilé allant même jusqu’à s’approcher de lui subrepticement la nuit pendant qu’il dormait pour le piétiner. Il écrivit de nouveau d’Alexandrie pour nous expliquer qu’il avait lâché l’animal dans Édom, mais que celui-ci, une lueur mauvaise dans le regard, l’avait traqué jusqu’à la côte. « Je te jure, très noble et savante dame Antonia, ma plus ancienne amie et ma plus généreuse bienfaitrice, que c’est la terreur inspirée par cet horrible chameau plutôt que la peur de mes créanciers qui m’a incité à fausser compagnie au gouverneur à Anthédon. Il aurait certainement insisté pour partager ma cellule si je m’étais laissé arrêter. » Le post-scriptum ajoutait : « Mes cousins d’Édom se sont montrés très hospitaliers, mais n’en concluez surtout pas à leur prodigalité. Ils poussent si loin leur souci d’économie qu’ils ne changent de linge qu’à trois occasions – quand ils se marient, quand ils meurent ou quand ils pillent une caravane qui leur fournit gratuitement du linge propre. Il n’existe pas un seul foulon dans tout Édom. » Hérode naturellement exposait sous le jour le plus favorable sa querelle, ou son malentendu comme il l’appelait, avec Flaccus. Il se reprochait son irréflexion et louait Flaccus, le décrivant comme un homme doué d’un sens presque trop élevé de l’honneur, si tant est que ce fût possible – trop élevé à coup sûr pour être apprécié de ses administrés qui le considéraient comme un excentrique.
Hérode nous racontait maintenant les épisodes de son histoire qu’il avait omis dans ses lettres, sans rien cacher, ou presque, car il savait que c’était la meilleure conduite à adopter avec ma mère ; et il l’enchanta tout particulièrement – bien qu’elle se prétendît horrifiée – en lui expliquant comme il avait enlevé les soldats et tenté de bluffer l’alabarque. Il lui décrivit également son voyage depuis Alexandrie au cours duquel ils avaient essuyé une terrible tempête et où tout le monde à bord, sauf lui et le capitaine, assurait-il, avait été terrassé par le mal de mer durant cinq jours et cinq nuits. Le capitaine avait passé tout son temps à pleurer et à prier, laissant à Hérode le soin de piloter seul le
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