Claude, empereur malgré lui
pour la plupart éteintes d’elles-mêmes par la mort de ses créanciers ; car les procès pour trahison intentés par Tibère du temps de Séjan avaient entraîné des coupes sombres dans les rangs des possédants, et du temps de Macron, le successeur de Séjan, le même processus destructeur devait se poursuivre. Quant à ses autres dettes, Hérode ne s’en préoccupait guère. Personne n’aurait osé attaquer en justice un homme jouissant à la Cour d’une telle faveur. Il me remboursa pour ma part sur un prêt de quarante mille pièces d’or qu’il avait négocié avec un affranchi de Tibère, un garçon qui, encore esclave, avait été l’un des geôliers du frère aîné de Caligula, Drusus, quand on l’avait fait mourir de faim dans les caves du palais. Depuis sa libération le trafic d’esclaves de haute qualité l’avait considérablement enrichi : il achetait à bas prix des esclaves malades et les remettait sur pied dans un hôpital dont il assurait la direction – et il craignait que Caligula, devenu empereur, ne se vengeât sur lui des mauvais traitements infligés à Drusus ; mais Hérode entreprit d’apaiser le ressentiment envers lui de Caligula.
Ainsi l’étoile d’Hérode devenait-elle de jour en jour plus brillante et il régla plusieurs problèmes en Orient à son entière satisfaction. Il écrivit par exemple à des amis d’Édom et de Judée – et quiconque recevait maintenant de lui une épître amicale en était grandement flatté – les priant de lui fournir si possible des preuves détaillées de la mauvaise gestion du gouverneur qui avait voulu l’arrêter à Anthédon. Il amassa ainsi une imposante moisson de témoignages dont il fit un dossier censé établi par les notables d’Anthédon ; puis il envoya ce dossier à Capri. Le gouverneur perdit son poste. Hérode remboursa sa dette en drachmes attiques au meunier d’Acre, moins deux fois la somme qui avait été abusivement déduite de l’argent qui lui avait été envoyé à Édom ; expliquant que ces cinq mille drachmes qu’il gardait représentaient une somme que le meunier avait empruntée à la princesse Cypros quelques années auparavant et n’avait jamais rendue. Quant à Flaccus, par égard pour ma mère, Hérode n’essaya pas de se venger de lui ; et Flaccus mourut peu après. Il décida de pardonner avec magnanimité à Aristobule, sachant qu’il devait se sentir non seulement honteux mais très déconfit d’avoir manqué de flair au point d’indisposer un frère devenu si puissant. D’ailleurs Aristobule pourrait rendre de grands services, une fois son âme dûment mortifiée.
Hérode se vengea également de Ponce Pilate, qui avait lancé l’ordre de l’arrêter à Anthédon, en encourageant certains de ses amis à Samarie à protester auprès du nouveau gouverneur de Syrie, mon ami Vitellius, contre la brutalité avec laquelle il y avait réprimé des soulèvements populaires et l’accuser d’avoir accepté des pots-de-vin. Pilate reçut l’ordre de se rendre à Rome pour répondre de ces accusations devant Tibère.
Par un beau jour de printemps, alors que Caligula et Hérode se promenaient ensemble dans une voiture ouverte aux environs de Rome, Hérode remarqua gaiement :
— Il est certes grand temps de remettre au vieux guerrier son épée de bois. (Par vieux guerrier, il entendait Tibère, et par épée de bois l’honorable gage de libération remis dans l’arène aux gladiateurs épuisés.) Et si tu veux bien me pardonner, ajouta-t-il, une apparente flatterie qui n’est que mon avis sincère, tu ferais bien meilleure figure au jeu des jeux que lui.
Caligula fut enchanté, mais par malheur, le cocher d’Hérode surprit cette remarque, la comprit et l’enregistra dans sa mémoire. Se sachant en mesure de causer la perte de son maître, cet homme à l’esprit de navet risqua à son égard certaines impertinences qui, de fait, passèrent quelque temps inaperçues. Mais il se mit en tête pour finir de voler de très belles couvertures de voyage brodées pour les vendre à un autre cocher dont le maître habitait à quelque distance de Rome. Il signala qu’elles avaient été accidentellement détériorées par la fuite d’un fût de goudron à travers les planches du grenier de l’écurie, et Hérode se satisfit de cette explication ; mais un jour, faisant par hasard une promenade avec le chevalier dont le cocher avait acheté les fameuses
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