Claude, empereur malgré lui

l’alabarque pour la lui faire lire et elle impressionna ce dernier plus encore que la présence des gardes du corps. Mais cette lettre se concluait sur l’espoir qu’Hérode avait enfin opté maintenant pour une activité politique utile au sein de l’équipe de son estimé ami Flaccus   ; or l’alabarque venait d’apprendre par des amis d’Antioche que Flaccus et Hérode s’étaient querellés et, de plus, il ne pouvait pas être vraiment sûr que Tibère avait effectivement écrit la lettre d’invitation, –  qu’Hérode n’avait pas proposé de lui montrer. Confier ou non cet argent à Hérode, il ne pouvait se décider. Il venait néanmoins d’opter pour le prêt lorsque l’un des soldats enlevés, qui comprenait un peu l’hébreu, déclara   :
    —  Donne-moi seulement huit pièces d’or, alabarque, et je t’en économiserai huit mille.
    —  Que veux-tu dire, soldat   ? demanda l’alabarque.
    —  Je veux dire que cet homme est un escroc et qu’il fuit la justice. Nous ne sommes pas ses gardes du corps, mais ses captifs. Un mandat d’arrêt impérial a été lancé contre lui à cause d’une dette importante contractée à Rome.
    Cypros sauva la situation en se jetant aux pieds de l’alabarque et en sanglotant   :
    —  Au nom de ta vieille amitié avec mon père Phasael, aie pitié de moi et de mes pauvres enfants. Ne nous condamne pas à la mendicité et à l’anéantissement. Mon cher mari n’a commis aucune malhonnêteté. Ce qu’il t’a dit est véridique en substance, bien qu’il ait peut-être légèrement enjolivé les détails. Nous sommes bien en route pour Rome et en raison des récents changements politiques, les perspectives les plus encourageantes nous y attendent   ; et si tu nous prêtes juste assez d’argent pour nous aider à surmonter nos présentes difficultés, le Dieu de nos pères te le rendra au centuple. La dette pour laquelle mon cher Hérode a failli être arrêté est un héritage de son imprévoyante jeunesse. Une fois arrivé à Rome, il trouvera sans tarder d’honorables moyens de la rembourser. Mais s’il tombait entre les mains de ses ennemis au gouvernement de Syrie sa ruine, celle de mes enfants et de moi-même serait consommée.
    L’alabarque se tourna vers Cypros, dont la fidélité envers Hérode dans le malheur lui mettait les larmes aux yeux, et il demanda, avec une bonté mêlée de circonspection   :
    —  Ton mari observe-t-il la Loi   ?
    Hérode la vit hésiter un instant et parla pour lui-même.
    —  Il ne faut pas oublier, Seigneur, que je suis de sang édomite. Tu ne peux raisonnablement pas espérer autant d’un Édomite que d’un Juif. Édomites et Juifs sont frères de sang par notre ancêtre commun, le patriarche Isaac   ; mais avant de se féliciter du singulier honneur accordé par Dieu à sa nation, tout Juif doit se rappeler comment Ésaü, l’ancêtre d’Édom, a été dépouillé de son droit d’aînesse et de la bénédiction de son père par Jacob, l’ancêtre des Juifs. Ne me traite pas avec rigueur, alabarque. Montre plus de compassion envers un imprévoyant Édomite dans la détresse que n’en a montré le vieux Jacob ou alors, par mon Seigneur-Dieu vivant, la prochaine cuillerée de lentilles rouges que tu mettras dans ta bouche ne manquera pas de t’étrangler. Nous avons été dépossédés par vous de notre droit d’aînesse et, du même coup, de l’insigne faveur de Dieu et en retour, nous vous demandons une générosité de cœur égale à celle dont nous n’avons jamais cessé de faire preuve. Rappelle-toi la magnanimité d’Ésaü lorsque, rencontrant Jacob par hasard à Péniel, il ne l’a pas tué.
    —  Mais observes-tu la Loi   ? insista l’alabarque, impressionné par la véhémence d’Hérode et incapable de réfuter ses références historiques.
    —  Je suis circoncis, et mes enfants le sont également, et moi - même et toute ma maisonnée avons toujours respecté la Loi révélée à ton ancêtre Moïse aussi rigoureusement que notre difficile position de Romains et nos imparfaites consciences d’Édomites nous l’ont permis.
    —  La vertu n’a pas deux visages, répliqua vertement l’alabarque. Ou la Loi est respectée ou elle est transgressée.
    —  J’ai pourtant lu que le Seigneur avait une fois autorisé Naaman, le prosélyte syrien, à officier dans le temple de Rimmon au côté du roi son maître, dit Hérode. Et Naaman s’est révélé un sincère