Claude, empereur malgré lui
vaisseau.
Il enchaîna ensuite :
— Lorsque enfin, debout sur le gaillard d’avant de notre fier navire, qui avait maintenant cessé de tanguer et de rouler, et insoucieux des remerciements et des louanges de l’équipage ressuscité, je vis la baie de Naples qui étincelait devant moi, ses rives émaillées de temples et de villas admirables, le puissant Vésuve qui la dominait et fumait doucement, dans mon imagination, comme un paisible âtre domestique – j’avoue que je me mis à pleurer. Je me rendais compte que j’étais de retour dans ma première et ma plus chère patrie. Je pensai à tous mes amis romains bien-aimés dont j’avais été si longtemps séparé, et à toi en particulier, très savante, très belle et très noble Antonia – et à toi également, Claude, évidemment – et combien nous serions heureux de nous revoir. Mais avant tout je devais, c’était clair, m’installer décemment. Il eût été fort inconvenant de ma part de me présenter à votre porte comme un mendiant ou comme un solliciteur indigent. Aussitôt débarqué, j’ai touché la traite de l’alabarque, tirée sur une banque de Naples, puis j’ai écrit à l’empereur, à Capri, pour solliciter une audience. Il me l’a accordée de la meilleure grâce se disant heureux d’apprendre que j’étais rentré sain et sauf, et nous avons eu le lendemain une conversation des plus encourageantes. Je suis au regret d’avouer que je me sentis tenu de le divertir – il était tout d’abord d’humeur plutôt morose – en lui racontant quelques histoires asiatiques que je me garderai de répéter ici pour épargner ta pudeur. Mais tu connais l’Empereur ; c’est un homme subtil et de goûts éclectiques. Bref, comme je venais de lui raconter une histoire caractéristique dans ce genre, il me dit : « Hérode, tu es un homme selon mon cœur. Je voudrais te confier une tâche assortie de grandes responsabilités – l’éducation de mon unique petit-fils, Tibère Gémellus, que j’ai ici avec moi. En tant qu’ami intime de son père mort, tu ne vas sûrement pas refuser et je suis persuadé que ce garçon aura de la sympathie pour toi. Je dois reconnaître à mon regret que c’est un petit bonhomme sombre et mélancolique et il a besoin d’un compagnon plus âgé, à la fois allègre et généreux qu’il puisse prendre comme modèle. »
« Je passai la nuit à Capri et le lendemain matin, l’empereur et moi étions meilleurs amis que jamais – il avait passé outre au conseil de son médecin et bu avec moi jusqu’à l’aube. Je pensais que le destin enfin me souriait, quand soudain, l’unique crin de cheval qui retenait depuis si longtemps au-dessus de ma tête infortunée l’épée de Damoclès, vint à rompre. Une lettre arriva pour l’Empereur, envoyée par ce stupide gouverneur d’Anthédon signalant qu’il avait lancé un mandat contre moi pour non-paiement d’une dette de douze mille pièces d’or envers la Cassette privée, que j’avais « échappé par artifice à mon arrestation » et m’étais enfui, enlevant deux hommes de sa garnison qui n’étaient pas encore revenus et avaient sans doute été assassinés. J’assurai l’empereur que les soldats étaient bien vivants, qu’ils étaient montés clandestinement à bord de mon bateau et qu’aucun mandat ne m’avait jamais été signifié. Peut-être avaient-ils été envoyés pour me le présenter, ajoutai-je, mais ils avaient, après coup décidé d’aller passer quelques vacances en Égypte. En tout cas, nous les avions découverts parmi la cargaison à mi-chemin d’Alexandrie. J’affirmai à l’empereur qu’une fois à Alexandrie, je les avais réexpédiés immédiatement à Anthédon pour y être punis.
— Hérode Agrippa, déclara sévèrement ma mère, c’était là un mensonge délibéré et je suis honteuse de toi.
— Pas autant que je le suis de moi-même depuis, chère dame Antonia, répliqua Hérode. Combien de fois m’avez-vous dit que l’honnêteté était la meilleure politique ? Mais en Orient, tout le monde ment, et chacun conteste d’emblée les neuf dixièmes des propos qu’il entend tout en sachant que les autres feront de même. Sur le moment, j’avais oublié que j’étais de retour dans un pays où l’on considère déshonorant de s’écarter d’un cheveu de la stricte vérité.
— Est-ce que l’empereur t’a cru ? demandai-je.
— Je
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