Claude, empereur malgré lui
donné son nom à notre nation. Si tu étais un Chauce, je dirais que le dieu Mann t’a envoyé cet oiseau pour t’indiquer qu’après un emprisonnement, de courte durée, tu seras élevé aux plus hautes dignités dans ton propre pays. Mais on me dit que tu es Juif. Puis-je te demander, Seigneur, le nom du Dieu de ton pays ?
Hérode, ignorant toujours si l’empressement du Germain était réel ou feint, répondit, en toute sincérité :
— Le nom de notre Dieu est trop sacré pour être prononcé. Nous autres Juifs sommes obligés d’y référer par périphrases, ou même par périphrases de périphrases.
Le Germain s’imaginant qu’Hérode se gaussait de lui répliqua :
— Ne crois pas, je te prie, que je cherche à obtenir de toi quelque récompense ; mais en voyant fienter cet oiseau, je n’ai pu résister au désir de te féliciter pour ce présage. Maintenant, que je te dise encore un mot, car je suis un augure célèbre dans mon pays : la prochaine fois que tu verras cet oiseau, cela dût-il arriver à l’apogée de ta gloire, s’il se pose près de toi et se met à pousser des cris, sache que les jours heureux seront alors terminés pour toi et que le nombre de ceux qui te resteront à vivre égalera celui des cris de la chouette. Mais puisse ce jour-là ne revenir que dans un très lointain futur.
Hérode avait maintenant retrouvé toute sa bonne humeur et il déclara au Germain :
— Je trouve, vieil homme, que tu dis les plus charmantes sottises que j’ai entendues depuis mon retour en Italie. Je te remercie bien sincèrement de vouloir m’égayer et si jamais je sors d’ici libre, je veillerai à ce que tu sois libéré également. Si tu es d’aussi bonne compagnie libéré de tes chaînes que tu l’es enchaîné, nous passerons de plaisantes soirées ensemble, à boire, à rire et à nous raconter des histoires.
Le Germain s’éloigna, ulcéré.
Entre-temps, Tibère avait brusquement donné à ses serviteurs l’ordre de préparer ses bagages de façon qu’ils pussent faire voile vers Capri l’après-midi même.
Sans doute craignait-il que ma mère ne tentât de lui soutirer l’élargissement d’Hérode, qu’il aurait difficilement pu lui refuser tant il était son obligé au sujet de Séjan et de Livilla. Ma mère, comprenant qu’elle ne pouvait rien pour Hérode sur l’instant, sinon peut-être lui obtenir un adoucissement de son régime de détention, demanda à Macron de lui consentir cette faveur. Macron répondit que s’il ménageait Hérode plus que les autres prisonniers, il s’attirerait à coup sûr les foudres de Tibère.
Ma mère insista :
— À part faciliter son évasion, fais tout ce que tu peux pour lui, je t’en supplie, et si jamais Tibère l’apprend et s’en irrite, je te promets de supporter à moi seule tout le poids de sa colère.
Il lui était odieux de solliciter les services de Macron, dont le père avait été l’un des esclaves de notre famille. Mais le sort d’Hérode lui inspirait de vives inquiétudes et elle aurait fait n’importe quoi pour lui à ce moment-là. Macron, flatté de ses supplications, promit de choisir pour Hérode un gardien qui lui témoignerait une grande considération et de nommer comme gouverneur de la prison un capitaine qu’elle connaissait personnellement. Mieux encore, il fit le nécessaire pour qu’Hérode prit ses repas avec le gouverneur et fut autorisé à se rendre quotidiennement sous escorte aux bains locaux. Il affirma que si les affranchis d’Hérode voulaient bien lui apporter un supplément de nourriture et une literie confortable – car l’hiver maintenant approchait – il veillerait à ce qu’on ne leur fasse aucune difficulté, mais les affranchis devraient déclarer au concierge à l’entrée que ces avantages étaient destinés au gouverneur lui-même. Hérode ne fit donc pas de la prison une expérience trop pénible, encore qu’une lourde chaîne l’assujettit au mur chaque fois que son gardien n’était pas de service ; mais il s’interrogeait anxieusement sur le sort de Cypros et des enfants, n’étant pas autorisé à recevoir des nouvelles du monde extérieur. Silas, bien que privé de la satisfaction de dire à Hérode qu’il aurait dû écouter ses conseils (ne pas toucher aux marécages de Camarina) veilla à ce que le prisonnier fût approvisionné par les affranchis en nourriture et autres objets de première nécessité avec
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