Claude, empereur malgré lui
des sentinelles romaines en armes. Sinon, licencie les soldats et ne te soucie plus de cette question. Aidé des conseils du roi Hérode Agrippa, je suis arrivé à la conclusion que le temple en question était un lieu tout à fait impropre à l’érection de ma Statue Sacrée. »
Cette lettre croisa celle qu’avait écrite Pétrone. Caligula furieux du ton qu’avait osé prendre Pétrone en tentant de le dissuader pour des raisons purement humanitaires lui répondit : « Puisque tu sembles attacher plus d’importance aux pots-de-vin des Juifs qu’à ma Volonté Impériale, je te conseille de te tuer par les moyens les plus rapides et les moins douloureux avant que je ne fasse avec toi un exemple tel que les siècles futurs en seront horrifiés. »
Le hasard voulut que la deuxième lettre de Caligula prit du retard, le bateau qui avait perdu son grand mât entre Rhodes et Chypre resta désemparé pendant plusieurs jours – si bien que la nouvelle de la mort de Caligula parvint la première à Caesarea. Pétrone de soulagement faillit embrasser la religion judaïque.
Ainsi se conclut la première partie de l’histoire d’Hérode Agrippa, mais vous en connaîtrez la suite à mesure que je raconterai la mienne.
CHAPITRE 5
Nous voici donc revenus au moment où j’étais porté tout autour de la grande cour du palais sur les épaules de deux caporaux de la Garde, avec les soldats du bataillon de Germains rassemblés autour de moi, leurs javelots brandis en mon honneur. Au bout d’un certain temps, je finis par persuader les deux caporaux de me poser à terre et quatre Germains d’aller chercher ma chaise. Ils me l’amenèrent et je m’installai dedans. Ils avaient décidé, m’annonça-t-on, de m’emmener au camp des gardes de l’autre côté de la cité, où je serais protégé contre toute tentative éventuelle d’assassinat. J’allais protester de nouveau lorsque j’aperçus une tache de couleur derrière la foule. Un bras vêtu de pourpre s’agitait dans ma direction, décrivant un étrange mouvement circulaire qui me rappela de lointains souvenirs d’école.
— Il me semble voir le roi Hérode Agrippa, dis-je aux soldats. S’il désire me parler, laissez-le passer immédiatement.
Au moment du meurtre de Caligula, Hérode n’avait pas été bien loin. Il nous avait suivi à la sortie du théâtre mais avait été entraîné à l’écart par un des conspirateurs, qui prétendait solliciter son intercession auprès de l’empereur. Hérode n’avait donc pas assisté au meurtre même. Si je le connaissais aussi bien que je le pensais, il aurait certainement sauvé la vie de Caligula par quelque subterfuge, et placé en présence du cadavre, il exprima sans réserve les sentiments de reconnaissance qu’il lui gardait pour les faveurs qu’il en avait reçu dans le passé. Prenant dans ses bras le corps ensanglanté, il le porta tendrement dans le palais, où il l’étendit sur le lit impérial. Il envoya même chercher des chirurgiens, comme s’il restait encore à Caligula une chance d’en réchapper. Il quitta ensuite le palais par une autre porte et regagna rapidement le théâtre, où il incita Mnester, l’acteur, à prononcer son fameux discours, celui qui rassura les Germains surexcités et les empêcha de massacrer le public pour venger la mort de leur maître. Puis il se précipita de nouveau au palais. Quand il apprit ce qui m’était arrivé, il s’avança hardiment dans la cour pour voir s’il pouvait se montrer utile. Je dois avouer qu’en voyant le sourire en biais d’Hérode, – un coin de la bouche retroussé vers le haut, l’autre vers le bas – je me sentis bien rasséréné.
Ses premiers mots furent les suivants :
— Je te félicite, César, de ton élection ; puisses-tu jouir longtemps des honneurs suprêmes que ces braves soldats t’ont conférés, et accorde-moi la gloire d’être ton premier allié !
Les soldats poussèrent de vigoureuses acclamations. S’approchant alors de moi et me prenant la main qu’il serra avec force, il continua d’un ton pressant en phénicien, langue que mes recherches sur l’histoire de Carthage, m’avaient rendue familière, mais qu’aucun soldat ne pouvait comprendre.
— Écoute-moi, Claude. Je sais ce que tu ressens. Je sais que tu n’as pas vraiment envie d’être empereur, mais pour notre salut à tous, aussi bien que pour le tien, ne sois pas
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