Claude, empereur malgré lui
relatées par l’historien Tite-Live, et en apprenant la scène qui s’était déroulée au Sénat, je commençais même à nourrir des doutes quant à mon passage favori, celui exaltant la force d’âme des vieux sénateurs après le désastre sur la rivière Allia, lorsque les Celtes avançaient sur la cité et qu’était perdu tout espoir de défendre les murs. Tite-Live raconte comment tous les jeunes hommes en âge de se battre s’étaient retirés avec femmes et enfants dans la citadelle après avoir accumulé des réserves d’armes et de nourriture, résolus à tenir jusqu’au bout. Mais les vieillards, qui ne pouvaient qu’encombrer les assiégés, restèrent sur place pour attendre la mort, drapés de leurs toges de sénateur et assis dans les fauteuils de leur fonction sous les portiques de leurs maisons, tenant fermement à la main les baguettes d’ivoire de leur rang. Lorsque j’étais enfant, le vieil Athénodore m’avait fait apprendre par cœur tout ce passage et je ne l’ai jamais oublié :
Les demeures des patriciens étaient ouvertes et les envahisseurs, frappés de stupeur, contemplèrent les silhouettes assises sous les portiques, impressionnés non seulement par la magnificence de leur costume et de leurs ornements, mais aussi par la majesté de leur attitude et la sérénité de leur expression ; ils ressemblaient véritablement à des Dieux. Ils s’immobilisèrent donc, émerveillés, comme devant les statues divines, jusqu’au moment où, selon la légende, l’un d’entre eux commença à caresser doucement la barbe d’un patricien, du nom de Marcus Papirius – les barbes à cette époque étaient portées très longues – qui se leva et lui assena sur la tête un coup de sa baguette d’ivoire. L’admiration le céda alors à la fureur et Marcus Papirius fut le premier patricien à tomber mort. Les autres furent massacrés, toujours assis.
Tite-Live était certes un brillant conteur. Il écrivait pour inciter les hommes à la vertu par ces récits exaltants quoique controuvés relatant la grandeur de Rome aux temps jadis. Mais non, ses efforts de persuasion n’avaient pas été tellement couronnés de succès, songeais-je.
Même Cassius, Lupus et le Tigre se querellaient maintenant. Le Tigre jura qu’il préférait se tuer plutôt que de me saluer comme empereur et assister au retour à l’esclavage.
— Tu ne parles pas sincèrement, rétorqua Cassius, et il n’est pas temps encore de tenir ce genre de propos.
— Toi aussi, Cassius Chéréas ? s’écria le Tigre avec fureur. Vas - tu nous abandonner maintenant ? Tu aimes trop ta vie, je crois. Tu prétends avoir organisé l’assassinat, mais qui a frappé le premier coup, toi ou moi ?
— C’est moi, répliqua Cassius sans hésiter, et je l’ai frappé par - devant, non par-derrière. Quant à aimer sa propre vie, qui sauf un fou ne l’aimerait ? Je ne vais certes pas la sacrifier inutilement. Si j’avais suivi l’exemple de Varus ce jour-là dans la forêt de Teutoburger, il y a plus de trente ans, – si je m’étais tué parce que tout espoir semblait perdu, qui aurait ramené les quatre-vingts survivants et tenu les Germains en échec jusqu’à l’arrivée de Tibère avec ses renforts ? Non, j’aimais la vie ce jour-là. Et maintenant, peut-être Claude, après tout, va-t-il décider d’abolir la monarchie. Sa réponse ne contredit pas une telle intention ; il est assez stupide pour faire n’importe quoi et, de plus, nerveux comme une chatte. Jusqu’à ce que j’aie la certitude qu’il ne prendra pas cette résolution, je continuerai à vivre.
Entre-temps tous les membres du Sénat s’étaient dispersés, laissant Cassius, Lupus et le Tigre en train d’argumenter dans le vestibule déserté. Lorsque Cassius, jetant un coup d’œil alentour, s’aperçut qu’ils étaient seuls, il éclata de rire.
— Quelle absurdité ! s’exclama-t-il. Nous devrions être les derniers à nous quereller ! Tigre, allons prendre un petit déjeuner. Toi aussi, Lupus ! Viens donc, Lupus !
J’étais, de mon côté, moi aussi, en train de prendre un petit déjeuner après une heure au plus de sommeil continu lorsqu’on vint m’informer que les consuls et les sénateurs républicains inconditionnels qui avaient assisté à la réunion de minuit étaient maintenant arrivés au camp pour faire leur soumission et me présenter leurs vœux. Les
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